Un cadre de référence nouveau et rafraîchissant
La classe de neige du programme PSI retrouve le plaisir combiné de la physique et de l’hiver. Les citations de cet article sont traduites de propos tenus en anglais par des étudiants et des professeurs du programme PSI.
En février 2021, Manu Srivastava profitait de températures douces chez lui, dans l’État du Madhya Pradesh, au centre de l’Inde.
Un an plus tard, enveloppé dans une couverture, il était dans une voiture tirée par des chevaux dans les rues enneigées de St. Jacobs, en Ontario, à une température avoisinant les –12°C.
Son admission dans le programme de maîtrise PSI (Perimeter Scholars International – Boursiers internationaux de l’Institut Périmètre), à Waterloo, lui a apporté de nouvelles expériences et de nouvelles idées, en plus d’un changement spectaculaire de température.
Ce programme de maîtrise est une immersion intense, d’une durée d’une année universitaire, dans la physique et les mathématiques. Mais au milieu de l’année, elle comprend une semaine de classe de neige. Cette semaine, qui a eu lieu en 2022 au début février, combine des problèmes de physique intéressants avec des activités et sports canadiens d’hiver amusants (malgré le froid).
À l’instar de Manu Srivastava, de nombreux étudiants font pour la première fois l’expérience d’un hiver canadien.
« C’est magique, dit-il en riant, du moins pendant le premier mois. » Avec des températures qui descendent souvent en dessous de –20°C, il a rapidement compris pourquoi, lorsque février arrive, la plupart des Canadiens se lassent de l’hiver.
Mais il ajoute que la promenade en carriole était amusante : « Nous avons eu une merveilleuse journée. Nous avons fait beaucoup de recherche productive le matin et le soir, et il a été très utile de se détendre entre les deux. »
Les étudiants sont répartis en équipes, et chaque équipe s’attaque à un problème distinct. Les problèmes de cette année portaient sur la comparaison de mesures de phénomènes magiques dans des états à plusieurs qubits, l’effondrement de la fonction d’onde induite par la gravitation, de même que la compréhension des différences entre les mondes quantique et classique dans l’inférence causale.
La classe de neige est conçue pour permettre aux étudiants de passer une semaine à se plonger dans un problème de physique qu’ils pourraient ne pas aborder en temps normal. Manu Srivastava s’intéresse à la gravitation quantique, mais pour la classe de neige il a choisi l’équipe de l’inférence causale. Il s’est donc plongé dans le sujet fascinant des relations de cause à effet, qui a de profondes implications dans le monde contre-intuitif de la mécanique quantique.
« Je voulais faire quelque chose que je n’avais jamais fait auparavant, dit-il. Je crois que les idées venant de différents domaines n’ayant en apparence aucun lien entre eux peuvent s’avérer très utiles. »
Dan Wohns, directeur adjoint des programmes d’enseignement à l’Institut Périmètre, rappelle que l’an dernier, le programme PSI a dû se tenir en mode virtuel à cause de la pandémie. Mais cette année, il est revenu en force avec une participation en personne, soit 21 étudiants venus de 15 pays.
« C’est la première fois depuis le début de la pandémie que nous pouvons nous réunir, dit M. Wohns. La classe de neige constitue une rare occasion de plonger pendant une brève période dans un projet de recherche différent. C’est aussi un bon moyen pour les membres du corps professoral d’avoir des interactions avec les étudiants et d’évaluer les possibilités d’en diriger certains au niveau du doctorat. »
Robert Spekkens, professeur à l’Institut Périmètre, dit que c’était fantastique d’initier une nouvelle cohorte d’étudiants au domaine de l’inférence causale, qui connaît des développements enthousiasmants.
Il explique que l’inférence causale consiste à trouver des relations de cause à effet à partir de données statistiques. Cela peut paraître simple, comme quand on constate une corrélation entre les ventes de crème glacée et le nombre de coups de soleil, pour en déduire que les deux sont dus à de chaudes journées ensoleillées. Mais souvent, dans le cas d’ensembles de variables plus complexes, par exemple pour des problèmes importants d’épidémiologie ou d’économie, ce n’est pas aussi évident.
En physique, les outils de l’inférence causale ont des applications dans le domaine des fondements quantiques, spécialité de M. Spekkens. Un résultat célèbre, obtenu dans les années 1960 par John Stewart Bell et connu sous le nom de théorème de Bell, remet en question la notion selon laquelle les corrélations observées dans des expériences quantiques peuvent s’expliquer par les idées classiques de cause et d’effet. Ce résultat laisse plutôt entrevoir le besoin de notions nouvelles, intrinsèquement quantiques, de cause et d’effet.
Des chercheurs de l’Institut Périmètre élaborent de nouvelles techniques d’inférence causale pour donner un sens à ce résultat. « Nous pouvons utiliser les techniques de pointe élaborées pour déduire des relations causales à partir de données statistiques, dit M. Spekkens, et les appliquer à ce que nous savons à propos du théorème de Bell. »
« Ce que j’aime beaucoup dans le programme PSI, c’est de toucher à tous ces domaines, mais d’une manière différente que dans d’autres programmes de maîtrise », déclare Sofia Gonzales, étudiante venue d’Espagne qui a fait partie de l’équipe de PSI sur l’inférence causale. « Nous travaillons directement avec des chefs de file dans ces domaines. »
Matthew Fox, de Boulder (Colorado), qui a aussi fait partie de l’équipe d’inférence causale pendant la classe de neige, trouve fascinant le domaine des fondements quantiques : « Je suis étonné par le fait que la mécanique quantique est parmi nous depuis plus d’un siècle et que nous ne comprenons toujours pas ce qu’elle nous enseigne. »
Dans l’équipe qui travaillait sur la gravitation, Latham Boyle, professeur à l’Institut Périmètre, a amené les étudiants à explorer une idée proposée par Roger Penrose, lauréat d’un prix Nobel, qui a mis au point des outils mathématiques cruciaux pour décrire les trous noirs.
Pratiquement tout le monde de la recherche en physique s’ingénie à trouver comment la théorie de la gravitation d’Einstein pourrait cadrer avec notre compréhension actuelle du monde quantique. Les deux ne s’harmonisent pas, et l’opinion répandue est que la théorie de la gravitation d’Einstein devra être modifiée. Par contre, Penrose a suggéré une démarche non conventionnelle consistant à utiliser la géométrie de la théorie d’Einstein pour modifier la physique quantique, ou encore à avancer que les 2 théories pourraient devoir être modifiées.
« C’est certainement une démarche minoritaire, mais j’ai toujours voulu consacrer un peu de temps à y réfléchir pour voir si l’on peut y ajouter quelque chose d’intéressant, dit M. Boyle. Il m’est apparu que cette classe de neige, où l’on consacre une semaine à l’étude d’un problème, serait une occasion en or de faire cela. »
Il ajoute que cette équipe d’étudiants à la maîtrise constitue un bon groupe avec qui faire cet exercice.
« Ces étudiants ont beaucoup d’énergie, dit M. Boyle. Que ce soit un sujet très difficile en physique, que nous n’ayons qu’une semaine pour l’aborder ou qu’il s’agisse d’une démarche non conventionnelle, cela ne les perturbe absolument pas. Ils ont un regard complètement neuf sur tout. »
L’un de ces étudiants, Sotirios Mygdalas, venu de Grèce et qui songe à faire un doctorat en physique de la gravitation, a été fasciné par le sujet.
« Nous voulions voir, explique M. Mygdalas, ce que l’application des principes de la théorie d’Einstein changerait en physique quantique. La théorie quantique resterait-elle la même? Aboutirait-on à une approximation des 2 manières fondamentales de penser le monde? C’est ce que nous essayons de comprendre. »
M. Mygdalas a envisagé de faire ses études de maîtrise en physique dans une prestigieuse université européenne, mais il dit avoir choisi l’Institut Périmètre parce que celui-ci offre un avantage important qui s’ajoute à l’aspect académique : des coéquipiers et futurs collègues.
Selon lui, dans d’autres programmes, les étudiants pourraient être en compétition les uns avec les autres, alors qu’à l’Institut Périmètre, la philosophie est différente et met l’accent sur le travail en collaboration.
Sotirios Mygdalas donne l’exemple suivant. Aux vacances de Noël, alors qu’il ne pouvait pas aller en Grèce voir sa famille, les étudiants de sa résidence universitaire ont organisé leur propre fête de Noël, avec des mets du monde entier. « C’était extraordinaire, dit-il. Même si je ne pouvais pas retourner en Grèce pour voir ma famille, j’avais l’impression d’en avoir une ici. »