Apprentissage automatique quantique
Non seulement les techniques d’apprentissage automatique pourraient être bénéfiques pour la physique quantique, mais elles pourraient la refaçonner, selon Roger Melko professeur associé à l’Institut Périmètre
Non seulement les techniques d’apprentissage automatique pourraient être bénéfiques pour la physique quantique, mais elles pourraient la refaçonner, selon Roger Melko professeur associé à l’Institut Périmètre
Entre les progrès rapides des capacités de reconnaissance faciale de mon iPhone et la victoire de Google DeepMind aux dépens de Lee Sedol, champion du monde du traditionnel jeu de Go, j’ai commencé à m’intéresser aux développements de l’intelligence artificielle.
Les deux réalisations ci-dessus sont survenues des années plus tôt que ce qu’avaient prédit des informaticiens bien au fait des défis extraordinaires de l’apprentissage automatique.
Les photos de visages humains contiennent une énorme quantité d’information complexe qui change avec le temps et comporte des conditions variables d’éclairage, de qualité d’image et d’angle de prise de vue. L’extraction d’une simple donnée (p. ex. mon nom) à partir d’une base de données de photos semble être une tâche herculéenne.
Le jeu de Go présente un autre défi complexe. Chaque mouvement a un très grand nombre d’avantages et d’inconvénients. On a cru pendant longtemps que l’intuition humaine, formée par la nature à l’art abstrait de la correspondance de formes, de la prédiction imparfaite et des pressentiments, était le meilleur outil pour prendre de telles décisions.
Mais comme Lee Sedol s’en est rendu compte lorsqu’il a été battu 4 à 1 par le programme d’intelligence artificielle (IA) AlphaGo, une nouvelle lignée d’algorithmes informatiques commence à effectuer avec brio ces tâches et d’autres semblables.
Ces algorithmes peuvent être classés dans la catégorie de l’« apprentissage automatique », par opposition à celle d’« instructions explicites dictées par un programmeur ». Au lieu d’indiquer dans le code quelles « caractéristiques » d’une photo sont importantes, les programmeurs ont commencé à enseigner aux machines comment les trouver par elles-mêmes. Tout comme il vaut mieux apprendre à quelqu’un à pêcher plutôt que de lui donner un poisson, si vous enseignez à un ordinateur comment coder lui-même les caractéristiques d’une photographie, il pourra vous nourrir d’images pour toute la vie.
Il s’agit d’un changement majeur de paradigme, qui pourrait s’avérer fructueux de plusieurs manières pour la physique théorique.
Mon domaine de recherche est la physique informatique des systèmes quantiques à N corps. J’étudie la matière, les matériaux et les systèmes quantiques artificiels. Les problèmes complexes sont notre lot quotidien. De fait, la physique de la matière condensée traite l’objet le plus complexe de toute la nature : la fonction d’onde quantique d’un système à N particules.
Si je voulais utiliser un ordinateur pour représenter mathématiquement la fonction d’onde électronique d’une minuscule poussière nanométrique, il me faudrait un disque contenant plus de bits magnétiques qu’il n’y a d’atomes dans tout l’univers. Pour contourner ce problème, les physiciens ont dans leur sac à malice un ensemble de trucs qui permettent d’extraire les propriétés utiles de certaines fonctions d’onde à l’aide des modestes moyens informatiques disponibles à l’heure actuelle.
Mais beaucoup d’autres problèmes importants de la physique quantique s’abritent sous un sombre manteau de complexité infinie. Je me suis demandé si l’on pourrait exploiter l’apprentissage automatique pour s’attaquer à cette complexité. Dénouer l’impasse même dans un domaine restreint de recherche pourrait permettre des percées inattendues.
À la fin 2015, j’ai plongé avec enthousiasme dans le domaine en croissance exponentielle de la recherche sur l’apprentissage automatique. Dans ce monde de conférences, de codes et de publications que je ne connaissais pas, j’ai trouvé un domaine ayant ses propres manies, modes et tendances, mais néanmoins solidement ancré dans les succès réels de ses réalisations.
Ma première surprise n’aurait pas dû en être une : les physiciens explorent depuis longtemps les liens possibles entre l’apprentissage automatique et la mécanique quantique.
Cependant, contrairement à moi qui souhaite exploiter des algorithmes d’apprentissage automatique et ordinateurs existants pour résoudre des problèmes de physique difficiles, plusieurs physiciens qui se sont intéressés très tôt à ce domaine l’ont fait dans un autre but : traduire des algorithmes d’apprentissage automatique en vue de les exécuter dans un ordinateur quantique.
Comment mieux susciter des progrès rapides dans tous les aspects de l’IA que de combiner une technologie logicielle dérangeante (l’apprentissage automatique) et une technologie matérielle potentiellement perturbatrice (l’ordinateur quantique)? L’idée est attrayante, mais elle se heurte à des obstacles substantiels.
L’ordinateur quantique n’offre une exécution accélérée que pour des tâches très spécialisées. Il n’y a actuellement aucune proposition concrète de réseau neuronal quantique ou de système quantique d’apprentissage profond. Nous n’avons que des idées éparses d’algorithmes.
Et même si ces éléments algorithmiques pouvaient améliorer concrètement la vitesse ou la qualité de l’apprentissage automatique, il n’y a tout simplement pas d’ordinateur quantique pour les mettre en application. Nous ne nous entendons pas encore complètement sur le matériau à utiliser pour construire les qubits qui pourraient être utilisés dans la production d’ordinateurs quantiques à une échelle industrielle. Des décennies de culs-de-sac scientifiques et techniques, d’innovations et de percées scientifiques s’écouleront encore d’ici la mise au point d’un cerveau quantique artificiel.
Les recherches d’aujourd’hui offrent néanmoins de remarquables possibilités. Personne ne nie que la technologie de l’apprentissage automatique fonctionne; les téléphones multifonctionnels en donnent la preuve. Mais la physique quantique peut-elle exploiter cette technologie, et même y contribuer si possible?
C’est cette question qui a suscité la conférence Quantum Machine Learning (Apprentissage automatique quantique), tenue en août 2016 à l’Institut Périmètre. J’ai organisé cette conférence avec des amis qui voulaient aussi explorer le potentiel de l’apprentissage automatique dans la recherche en physique quantique.
Il se trouve que nous étions loin d’être seuls. Le degré d’intérêt et l’étendue des perspectives du milieu universitaire et de l’industrie nous ont surpris. Près de 100 personnes sont venues de divers horizons : universités; géants de l’industrie de l’information tels que Microsoft, Google et Intel; entreprises en démarrage de la Silicon Valley; organismes gouvernementaux de recherche des États-Unis. Ce fut une semaine chargée pendant laquelle nous avons comparé des recherches, examiné des terrains communs et défini ce que nous espérons voir devenir un domaine très fructueux.
L’apprentissage automatique quantique pourrait peut-être appliquer des protocoles de reconnaissance de visages à la physique quantique. Parmi les nombreux exemples captivants proposés par des étudiants et des postdoctorants, mentionnons l’utilisation de réseaux neuronaux de pointe (fonctionnant dans des ordinateurs conventionnels) pour reconnaître les subtiles signatures d’un état de la matière à partir des instantanés imparfaits de la fonction d’onde.
Étant donné que nous savons simuler ces instantanés fugaces dans nos ensembles de grands superordinateurs, nous pouvons utiliser le logiciel libre d’apprentissage automatique de Google et d’autres auteurs pour identifier le « visage » d’un supraconducteur, d’un isolant, ou même d’un état topologique exotique de la matière. Nous pourrions essentiellement créer un logiciel de reconnaissance d’états.
Une fois cette étape accomplie, nous pourrions inverser le logiciel pour produire automatiquement des « portraits-robots » de nouveaux matériaux ou états de la matière. Nous pourrions même utiliser une telle technologie pour analyser les fonctions d’onde de dispositifs quantiques artificiels simulés dans nos superordinateurs (classiques) et constituant des prototypes d’ordinateurs quantiques.
Alors que la plupart des premiers physiciens qui se sont intéressés à l’apprentissage automatique le voyaient comme une chose à réaliser avec un ordinateur quantique, l’apprentissage automatique pourrait en premier lieu vraiment nous aider à concevoir un ordinateur quantique.
Nous vivons à une époque extraordinaire. Certains physiciens espèrent que la révolution actuelle de la recherche en IA permettra de dénicher une perle algorithmique pouvant s’avérer utile pour la recherche en physique quantique. Une amélioration même légère dans la compréhension d’une fonction d’onde particulière pourrait fournir la solution d’un problème difficile. En physique de la matière condensée, les enjeux sont aussi importants que la conception d’un supraconducteur à la température ambiante ou un matériau exotique remplaçant le silicium.
Mais que nous fassions ou non une telle découverte algorithmique, cette avenue de recherche a un riche potentiel.
Physiciens, informaticiens et spécialistes de l’IA, nous cherchons encore ce qui nous unit. Mais à la fin de la conférence, nous avions le sentiment de commencer à former une communauté. En apprenant chacun le langage de nos collègues et en étant attentifs à leurs idées, nous créons un espace propice à de remarquables chevauchements et nous préparons le terrain pour des découvertes révolutionnaires.
Ce qui est peut-être le plus enthousiasmant à propos de ce nouveau domaine, c’est qu’il sera exploré par des gens beaucoup plus jeunes que moi, qui — affranchis des barrières largement artificielles entre les domaines traditionnels — ouvriront de nouvelles voies permettant l’épanouissement de l’apprentissage automatique quantique.
Roger Melko est titulaire de la chaire de recherche du Canada (de niveau 2) en physique informatique quantique à N corps. Il est professeur agrégé à l’Université de Waterloo et professeur associé à l’Institut Périmètre.
Visionnez tous les exposés présentés à la conférence Quantum Machine Learning (Apprentissage informatique quantique), à l’adresse pirsa.org/C16017.
Nicole Yunger Halpern explique l’hommage qu’elle rend, en filigrane dans son nouveau livre, à son ancienne collègue du programme PSI.
En physique quantique, le mot magique a un sens technique précis. Timothy Hsieh, de l’Institut Périmètre, et ses collaborateurs ont trouvé une source abondante de matériaux magiques. Les citations de cet article sont traduites d’une entrevue accordée en anglais par Timothy Hsieh.
Finissante du programme PSI de l’Institut Périmètre en 2013, Nicole Yunger Halpern est à l’avant-garde de la réinvention de la thermodynamique pour l’ère quantique. Les citations de cet article sont traduites de propos qu’elle a tenus ou écrits en anglais.