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D’où sont-ils venus? Le physicien autodidacte oublié qui a préparé le terrain pour les lasers

S.N. Bose était un mathématicien bengali qui a appris l’allemand par lui-même afin de pouvoir étudier la physique. Il a ensuite résolu un problème qui laissait perplexe Einstein lui-même.

Vous ne liriez pas ceci si ce n’était les lasers.

Même s’ils sont rarement visibles, les lasers constituent l’épine dorsale de notre économie de l’information. Lumière présente dans les fibres optiques, ils sont au cœur d’Internet. Ils lisent et écrivent des données sur des disques compacts et des DVD. Ils guident les avions et communiquent avec les satellites. Même les livres en dépendent : la plupart d’entre eux sont imprimés au laser.

Les racines du laser remontent à 1917, lorsqu’Einstein a découvert l’« émission stimulée », par laquelle un atome dans un état de haute énergie effleuré par un photon ayant le bon niveau d’énergie émet un second photon identique au premier.

Il a fallu des décennies pour que la théorie de l’émission stimulée devienne la technologie du laser (acronyme de light amplification by stimulated emission of radiation – amplification de la lumière par émission stimulée de rayonnement). Cette période a été marquée par les travaux de dizaines de scientifiques et d’ingénieurs, par la naissance de domaines tels que la chimie quantique et la physique du solide, de même que par une bataille épique sur la propriété d’un brevet fondé sur un schéma qu’un étudiant diplômé avait fait authentifier dans un magasin de bonbons du Bronx.

Mais au tout début, il y a eu un physicien doux et discret du nom de Satyendra Nath Bose — S.N. Bose. Né en 1894 à Calcutta, en Inde, Bose était un enfant prodige qui a étudié les mathématiques à l’université, obtenant un diplôme de maîtrise.

Contrairement à la plupart des scientifiques influents, il n’a pas fait de doctorat. Au lieu de cela, il a commencé à étudier par lui-même la physique, empruntant des livres en allemand sur les théories les plus récentes et apprenant tout seul l’allemand afin de pouvoir les étudier.

Un esprit brillant au moment idéal

Le mathématicien et physicien bengali Satyendra Nath Bose

Bose s’est plongé dans la physique autour de 1917. C’était une époque passionnante pour travailler dans ce domaine. En 1900, le scientifique allemand Max Planck avait découvert que l’énergie électromagnétique ne pouvait être émise et absorbée qu’en paquets de taille déterminée auxquels il avait donné le nom de quantums. Ce fut la naissance de l’ère quantique, un moment de mutation de la physique.

Mais il y avait quelque chose d’insatisfaisant dans la découverte de Planck. Planck lui-même admettait que sa célèbre formule constituait une sorte de facteur arbitraire afin que la théorie corresponde aux données. De nombreux physiciens, dont Einstein, ont tenté de déduire la formule de Planck à partir de principes premiers, mais tous ont échoué. Bose s’est attaqué allègrement au problème, apparemment sans savoir que celui-ci avait vaincu les meilleurs esprits de l’époque. Et étonnamment, le jeune scientifique a réussi à le résoudre.

L’idée maîtresse de Bose consistait à introduire une statistique d’un genre tout nouveau. Normalement, lorsque l’on tire 2 fois à pile ou face, il y a 4 résultats possibles : face-face, face-pile, pile-face et pile-pile. La probabilité d’obtenir 2 fois face est donc de 1 sur 4. Bose a suggéré que, comme l’on ne peut distinguer 2 photons, face-pile et pile-face sont indifférenciés et ne constituent en réalité qu’une seule possibilité. Si les pièces de monnaie fonctionnaient de cette manière, la probabilité d’obtenir 2 fois face serait de 1 sur 3.

Les physiciens et les mathématiciens trouvaient cela ridicule. Pour Bose, qui était à la fois physicien et mathématicien, les faits étaient éloquents : ses nouvelles statistiques fonctionnaient. Il a écrit sur le sujet un article intitulé Planck’s Law and the Hypothesis of Light Quanta (La loi de Planck et l’hypothèse des quantums de lumière), mais les revues auxquelles il l’a envoyé l’ont refusé. Alors Bose a posé un autre geste ridicule : il a envoyé son article à Einstein lui-même.

C’était en 1924. Einstein était déjà célèbre et inondé de courrier. Cet article a néanmoins retenu son attention — peut-être parce qu’il s’attaquait à un problème qu’Einstein avait été incapable de résoudre. Il a traduit l’article en allemand et l’a fait publier dans l’une des meilleures revues de physique, Zeitschrift für Physik, avec la note suivante : « Cela me semble être un pas en avant important. » [traduction]

Un pas en avant important

Einstein comprenait que la découverte de Bose était si importante qu’il a commencé à travailler sur une série d’articles à propos de ce qu’il appelait la « statistique de Bose » — on parle aujourd’hui de statistique de Bose-Einstein. Cette découverte était si importante que les particules qui obéissent à une telle statistique — ces particules aiment être dans un seul état quantique, face-pile et pile-face étant indifférenciés — ont été appelées bosons. Et il se trouve que les photons sont des bosons.

Cela nous ramène aux lasers. Un faisceau typique d’une lumière qui n’est pas un laser ressemble à une mer agitée : les fonctions d’onde quantiques des différents photons se chevauchent, s’entrechoquent et s’annulent partiellement les unes les autres. Dans un faisceau laser, toutes les ondes se déplacent ensemble, produisant un unique train d’onde, comme si toute la puissance de l’océan était concentrée dans une seule vague. C’est ce que l’on appelle la cohérence, et c’est la raison pour laquelle le laser a une telle puissance et est si utile en transmission d’information.

La cohérence est possible parce que de nombreux photons peuvent occuper un même état quantique. Sans l’idée remarquable et les puissants nouveaux outils statistiques de Bose, les physiciens n’auraient jamais pu comprendre cela, et encore moins exploiter le phénomène pour créer de nouvelles technologies, puis de nouvelles industries, puis une nouvelle économie.

Quant à Bose lui-même, il s’est acquis la réputation d’un génie qui n’a pas su exploiter pleinement ses dons. Peut-être est-ce parce qu’il ne s’est pas concentré uniquement sur la physique : il a également fait des recherches dans des domaines aussi divers que la minéralogie, la chimie, la géologie, l’anthropologie, la zoologie, le génie, ainsi que la littérature bengalie et anglaise. Peut-être est-ce à cause de sa timidité. Lorsque Marie Curie lui a dit qu’il devrait apprendre le français pour travailler avec elle à l’Institut du radium, il était trop gêné pour lui dire qu’il parlait déjà français couramment. Lorsque d’autres scientifiques indiens lui demandaient pourquoi leur compatriote pionnier de la physique quantique n’avait jamais remporté de prix Nobel, Bose leur répondait : « J’ai toute la reconnaissance dont j’ai besoin. » [traduction].

Et c’est peut-être vrai. De toute évidence, il était plus heureux avec quelques étudiants devant un tableau noir, ou à avoir d’interminables discussions avec ses amis autour de tasses de thé chai. Il aimait être avec d’autres. Lorsque Paul Dirac lui a rendu visite en Inde, il s’est plaint de ce que Bose prenait quelques étudiants dans sa voiture déjà pleine. Bose lui a répondu en riant : « Oh! Ici, Paul, nous croyons à la statistique de Bose. » [traduction]

Bose est décédé, toujours heureux, en 1974.

En 2012, un nouveau type de boson — le boson de Higgs — a été découvert, et la presse s’est empressée d’écrire des articles sur Peter Higgs. En Inde cependant, il y a eu aussi des articles sur Satyendra Nath Bose. Et dans ces articles, le mot « Boson » est écrit avec un B majuscule.

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