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La gravitation 100 ans plus tard — Dans un hologramme

Article de Robert C. Myers sur l’holographie

L’une des idées les plus remarquables à avoir émergé de la théorie des cordes — celle-ci était à l’origine une tentative d’unification de la relativité générale d’Einstein et de la mécanique quantique — s’appelle la correspondance AdS/CFT. Cette correspondance définit une équivalence mathématique entre des systèmes quantiques et des objets plongés dans un champ gravitationnel. Plus précisément, la gravitation dans un espace-temps d’un type particulier appelé espace anti-de Sitter (ou AdS) est équivalente à une théorie quantique des champs d’un type particulier appelée théorie conforme des champs (ou CFT) dans une dimension de moins. Comme cette correspondance relie des théories qui concernent des nombres différents de dimensions, on la qualifie souvent d’« holographie ». (Un hologramme code une image tridimensionnelle sur une pellicule bidimensionnelle.)

Aussi étrange qu’elle puisse paraître au premier abord, cette idée résiste depuis 25 ans à l’examen de milliers de physiciens théoriciens. On peut voir la correspondance AdS/CFT comme un dictionnaire bilingue reposant sur le fait qu’un ensemble de phénomènes physiques peut être décrit dans 2 langages différents : l’un de ces langages est celui de la gravitation, théorie généralement utilisée pour décrire, à l’aide de la géométrie et de la dynamique de l’espace-temps, des phénomènes physiques qui se manifestent sur de très grandes distances; l’autre langage est celui de la théorie quantique des champs, généralement utilisée pour décrire, à l’aide de probabilités, d’interférences d’ondes et d’interactions de particules, des phénomènes physiques qui se manifestent à de très petites échelles.

Comme c’est souvent le cas en traduction, beaucoup de mots sont très différents d’un langage à l’autre. Un « trou noir » en théorie de la gravitation devient un « plasma thermique » ou « plasma chaud » en théorie quantique des champs. Cependant, les mots ont parfois une racine commune. Par exemple, la température du plasma correspond à la température de Hawking du trou noir. (L’une des découvertes les plus célèbres de Stephen Hawking, réalisée dans les années 1970, est que les trous noirs émettent lentement un rayonnement thermique en raison des effets quantiques près de l’horizon des événements.) Une grande partie des recherches effectuées en holographie depuis une vingtaine d’années consiste en du travail de détective qui vise à compléter ce dictionnaire.

L’équivalence holographique constitue une fenêtre extraordinaire à la fois sur la théorie de la gravitation et sur la théorie quantique des champs. Et en prime, le régime dans lequel il est relativement facile de travailler avec la théorie de la gravitation correspond à la théorie quantique des champs en régime de couplage fort, là où les méthodes traditionnelles échouent et où il est presque impossible d’utiliser cette théorie. On peut donc exploiter l’holographie pour faire des calculs en théorie quantique des champs dans un régime où l’on ne disposait auparavant d’aucune méthode.

Il ne faut toutefois pas oublier que ces calculs holographiques s’appliquent à des catégories particulières de théories quantiques des champs (les théories conformes) qui ne sont pas exactement celles décrivant la nature. Malgré cela, nous avons de bonnes raisons de penser que la correspondance AdS/CFT fournit des idées utiles et même des balises à propos de ce que l’on pourrait s’attendre à voir dans des expériences sur le monde réel. Le fait qu’un plasma holographique se comporte comme un liquide quasi idéal est l’un des résultats les plus connus en la matière. En jargon technique, on dit que le rapport de sa viscosité de cisaillement sur sa densité d’entropie est extrêmement faible — beaucoup plus faible que dans tout liquide connu. Cela est resté vrai jusqu’en 2005, alors que des expérimentateurs du collisionneur d’ions lourds relativistes ont découvert qu’un nouvel état de la matière nucléaire appelé plasma quark-gluon possède à peu de chose près le comportement d’un liquide quasi idéal que l’on trouve en holographie.

La recherche en holographie s’étend maintenant à la physique de la matière condensée, où la description théorique de nombreux phénomènes souffre de notre incapacité à travailler avec des théories quantiques des champs en régime de couplage fort. On espère que des modèles holographiques pourront nous fournir des idées sur la physique de nouveaux matériaux qui deviennent supraconducteurs à des températures relativement élevées. Un résultat important découvert ici même à l’Institut Périmètre grâce à des calculs holographiques est connu sous le nom de théorème F. Ce théorème nous dit comment toutes les théories quantiques des champs à (2+1) dimensions — du genre de celles qui peuvent décrire des supraconducteurs à haute température — s’imbriquent les unes avec les autres.

Dans une toute autre direction, il semble que la physique des trous noirs puisse être liée — par le truchement d’hologrammes — à l’information quantique. On a trouvé qu’une quantité appelée entropie d’intrication donne une mesure des corrélations entre les degrés de liberté microscopiques dans une théorie quantique. Fait intéressant, la notion d’entropie d’intrication vient de l’informatique quantique, où l’intrication entre bits quantiques (ou qubits) peut être exploitée pour des calculs ultrarapides ou des communications ultrasûres. L’holographie code l’entropie d’intrication dans la géométrie de l’espace-temps de la théorie de la gravitation. Il s’agit d’une perspective remarquable dont on essaie encore de comprendre les implications.

Un grand programme de recherche lancé il y a plusieurs années vise à établir des ponts entre l’information quantique et la gravitation quantique. Il s’agit de l’un des domaines de pointe les plus passionnants et les plus dynamiques de la physique. Tous ces résultats semblent n’être que la pointe d’un iceberg : plus qu’un ensemble utile d’outils de traduction, l’holographie paraît offrir une perspective entièrement nouvelle ayant le potentiel de réconcilier la gravitation et la physique quantique — ce qui constitue peut-être le plus grand défi de la physique théorique.

– Robert C. Myers est l’un des professeurs fondateurs de l’Institut Périmètre. Il se spécialise en théorie quantique des champs et en théorie des cordes.

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