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LE NOUVEAU VISAGE DES DIAGRAMMES DE FEYNMAN?

Une équipe de chercheurs comprenant Freddy Cachazo, professeur à l’Institut Périmètre, vient d’inventer un nouveau système pour calculer ce qui arrive lorsque des particules interagissent – et cela aura probablement des répercussions importantes en physique et en mathématiques.

Est-ce le nouveau visage des diagrammes de Feynman?

« Eh bien », répond modestement Freddy Cachazo, professeur à l’Institut Périmètre, « c’est une question provocatrice. Posez-la à nouveau aux gens dans 65 ans. » [traduction]

Il y a 65 ans, Richard Feynman présentait au monde ses diagrammes, simplifiant la manière dont les physiciens modélisent les interactions entre particules. Depuis lors, des générations de chercheurs se servent de diagrammes de Feynman pour calculer plus facilement ce que l’on appelle généralement la diffusion, c’est-à-dire ce qui se passe lorsque deux ou plusieurs particules entrent en collision. Simples et visuels, les diagrammes de Feynman sont devenus le moyen standard de saisir de manière intuitive ce qui autrement demanderait un calcul plutôt obscur.

« Les diagrammes de Feynman étaient et sont la réalisation d’un rêve, explique M. Cachazo. Ils fonctionnent très bien; ils nous ont permis de tester les prédictions de la théorie quantique des champs avec une incroyable précision. De plus, ils permettent à la localité, l’un des deux piliers de la théorie quantique des champs, de se manifester au cours du calcul. Mais tout cela a un coût : les diagrammes de Feynman comportent beaucoup de redondance. » [traduction]

Pris un par un, les diagrammes de Feynman peuvent produire dans leur état final des particules physiquement impossibles. Il faut faire la somme de tous les diagrammes possibles pour démontrer que la probabilité de ces états physiquement impossibles est en réalité nulle.

L’ennui, c’est que « tous les diagrammes possibles » peuvent constituer beaucoup, beaucoup de diagrammes. Par exemple, pour calculer ce qui se passe lorsque des particules dépourvues de masse comme les gluons entrent en collision, il faut des centaines de diagrammes de Feynman, même lorsque seulement deux gluons interagissent pour produire quelques autres gluons.

Chacun de ces centaines de diagrammes produit de nombreux termes dans la formule, ce qui rend impossible de faire les calculs à la main. Ces problèmes ne peuvent être traités qu’à l’aide de puissants ordinateurs – et dans le cas de collisions complexes comme celles qui se produisent au LHC, même les meilleurs superordinateurs ne suffisent pas à la tâche.

Un processus plus efficace de calcul des amplitudes de diffusion figure donc au sommet de la liste des souhaits des physiciens des particules. Au CERN et ailleurs, des chercheurs lancent les unes contre les autres des particules subatomiques de haute énergie, à la recherche de nouvelles particules et forces non prévues dans le modèle standard de la physique.

Cependant, pour découvrir de nouveaux phénomènes, il faut d’abord calculer avec précision ce que les modèles théoriques actuels prédisent à propos d’interactions entre particules à de très hautes énergies – il est impossible de repérer ce qui est exceptionnel si l’on ne sait pas exactement à quoi ressemble ce qui est habituel. Le calcul d’amplitudes de diffusion joue un rôle central dans ces prédictions – et la redondance des diagrammes de Feynman a constitué jusqu’à maintenant un obstacle majeur.

D’où vient cette redondance des diagrammes de Feynman? En bref, elle vient des particules virtuelles. Si l’on regarde un diagramme de Feynman, on peut avoir l’impression qu’il raconte l’histoire de l’interaction entre particules. Mais les lignes internes des diagrammes de Feynman – celles qui correspondent aux particules qui ne sont ni en entrée ni en sortie – ne représentent pas des particules réelles. On dit qu’elles représentent plutôt des particules virtuelles – dont les moments sont physiquement impossibles.

« Il est naturel de se demander si les particules virtuelles sont vraiment nécessaires, dit M. Cachazo. Est-il possible de décrire l’interaction de particules réelles en utilisant uniquement des particules réelles? La réponse est oui. » [traduction]

Freddy Cachazo appartient à un petit groupe de physiciens mathématiciens qui ont mis au point un nouveau schéma faisant uniquement appel à des particules réelles. Les autres membres du groupe sont : Nima Arkani-Hamed, de l’Institut d’études avancées de Princeton (et également titulaire d’une chaire de chercheur invité distingué de l’Institut Périmètre); Jacob Bourjaily, de l’Université Harvard; Alexander Goncharov, de l’Université Yale; Alexander Postnikov, du MIT; Jaroslav Trnka, de l’Université de Princeton.

Dans un très long article de 152 pages, l’équipe expose à la communauté des physiciens les élégantes idées mathématiques qui sous-tendent un nouveau système de calcul de ce qui se passe lorsque des particules entrent en interaction. Ce nouveau tableau ne comporte aucune particule virtuelle.

Avec l’élimination des particules virtuelles, le calcul des amplitudes de diffusion devient étonnamment simple. Cet article est le point culminant de plus d’une dizaine d’années d’efforts, et il aura probablement de grandes répercussions en physique et en mathématiques. En premier lieu, ce système pourrait fort bien révolutionner la manière dont les physiciens des particules font leurs calculs les plus essentiels.

Pourquoi l’utilisation de nombres complexes rend-elle les calculs si simples? En physique, il arrive souvent que lorsque les résultats de calculs sont beaucoup plus simples que prévu, cela révèle un principe ou une symétrie auparavant ignorés. On ne sait pas encore si c’est le cas ici, ou ce que la symétrie ainsi révélée pourrait être – il y a toutefois des indices à propos de principes fondamentaux mais non encore découverts de physique liés à des théories de l’espace et du temps. Avec un peu de chance, cette nouvelle lentille mathématique pointée sur la théorie de la diffusion pourrait mettre en lumière de nouvelles idées.

Le nouveau système de calcul a déjà suscité énormément d’intérêt dans la communauté de la physique des particules. On s’attend à ce que cet article majeur soit un point de référence au cours des années à venir.

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