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Le télescope CHIME tient ses promesses, et plus encore

Voici comment des Canadiens ont trouvé une manière de détecter des sursauts radio rapides et ont transformé un petit filet de découvertes en un déluge.

« Une fois par décennie environ, les astronomes découvrent un nouveau genre d’événement mystérieux », affirme Kendrick Smith, professeur à l’Institut Périmètre. « Dans les années 1960, les pulsars ont été un mystère inattendu; dans les années 1970, les bouffées de rayons gamma ont été une surprise, et ainsi de suite. Au début du XXIe siècle, notre mystérieuse surprise est constituée des sursauts radio rapides. » [traduction]

La surprise est apparue en 2007, lorsque des astronomes qui fouillaient des données archivées ont remarqué quelque chose d’étrange : une impulsion incroyablement brève de lumière de fréquence radio qui semblait venir de très loin à l’extérieur de notre galaxie. Le signal était faible — aussi faible qu’un signal de téléphone cellulaire venant de la Lune —, mais il n’avait certainement pas été faible au départ. Ce qui avait produit ce signal devait avoir dégagé en quelques millisecondes autant d’énergie que notre Soleil en 80 ans.

Ce fut aussitôt le début de la chasse à ces impulsions — appelées sursauts radio rapides, en abrégé SRR. Mais une décennie de recherches intensives ne permit d’en trouver que 25 autres. Étrangement, un seul de ces signaux semblait se répéter.

Avec si peu d’événements enregistrés, les physiciens ont élaboré davantage de théories sur les SRR que le nombre de tels signaux détectés. Avec si peu de données, les progrès ne pouvaient être que très lents. Tout cela a changé avec la mise en service d’un nouveau télescope, appelé CHIME (Canadian Hydrogen Intensity Mapping Experiment – Expérience canadienne de cartographie de l’intensité de l’hydrogène). Situé dans la vallée de l’Okanagan, en Colombie-Britannique et exploité avec la participation d’une cinquantaine de scientifiques de l’Institut Périmètre, de l’Université McGill, de l’Université de Toronto, de l’Université de la Colombie-Britannique et du Conseil national de recherches du Canada, CHIME est le premier nouveau télescope canadien depuis des décennies.

« Sa réalisation a été enthousiasmante », déclare Kendrick Smith, titulaire de la chaire Famille-Daniel-James-Peebles à l’Institut Périmètre. « Dans un monde d’énormes équipes internationales, CHIME est un petit projet exclusivement canadien. Il constituait pour le Canada une possibilité de devenir un chef de file dans l’étude de l’un des problèmes de l’heure en astrophysique. » [traduction]

Les forces — et les défis — du télescope CHIME viennent de sa conception inhabituelle. Au lieu des disques pivotants plus répandus, CHIME est formé de 4 demi-cylindres parallèles, ressemblant chacun à une demi-lune aménagée pour la planche à roulettes. Alors que la plupart des télescopes s’orientent vers l’objet à étudier, CHIME reste immobile. Les demi-lunes font face au ciel et ne bougent que parce qu’elles sont montées sur la pièce mobile la plus fiable, la Terre elle-même. Avec la rotation de la Terre, le télescope balaie le ciel comme un photocopieur balaie une feuille de papier. Pour employer une analogie, alors que d’autres télescopes utilisent des zooms, CHIME a un objectif à grand angle et enregistre donc des événements passagers, dont les SRR, que d’autres télescopes ne pourraient capter que par hasard.

Le télescope CHIME capte des sursauts radio rapides.

C’est de là que vient le défi. Le télescope CHIME enregistre chaque jour un pétaoctet de données, c’est-à-dire 1 024 téraoctets, ou encore un million de gigaoctets, ce qui équivaut à 38 ans de visionnement continu à haute définition dans Netflix. Quelque part dans toutes ces données, environ une fois par jour, il devrait y avoir le signal faible et fugitif d’un SRR.

Oubliez l’aiguille dans la botte de foin : c’est plutôt comme de ramasser un grain de sable dans une avalanche. Ce qui rend la chose plus difficile, c’est que l’équipe du télescope CHIME doit fouiller dans les données en temps réel à mesure qu’elles arrivent. « Il y a trop de données pour les enregistrer sur disque, explique M. Smith, et on ne peut donc les examiner que pendant le bref moment où elles sont en mémoire. Il faut avoir sur place de grands superordinateurs qui effectuent en temps réel le traitement correspondant à chaque analyse que nous voulons faire, y compris pour la recherche de SRR. » [traduction]

Au départ, l’équipe croyait qu’il serait impossible de traiter aussi rapidement un tel volume de données. « Nous pensions avoir 10 personnes travaillant sur ces données, acheter un parc gigantesque d’ordinateurs et payer une énorme facture d’électricité, pour ne sonder qu’une partie des données », dit Ue-Li Pen, professeur associé à l’Institut Périmètre dans le cadre d’une nomination conjointe avec l’Institut canadien d’astrophysique théorique.

L’équipe a ensuite découvert des algorithmes prometteurs mais peu utilisés, susceptibles d’aider à accélérer ses recherches. « Kendrick est devenu tout excité », ajoute M. Pen avec un petit rire. « S’il s’agit d’une question d’algorithme astucieux, c’est tout à fait son domaine. » [traduction]

Avec un premier doctorat en mathématiques, puis un second en cosmologie, et entre les deux une expérience d’ingénieur en logiciels, M. Smith adopte une démarche révolutionnaire qui combine la physique, l’analyse de données, les statistiques et les mathématiques pures pour trouver les signaux recherchés dans le flot incroyable de données produit par de nouvelles expériences comme celle du télescope CHIME. C’est pour ce genre de travail, « la mise au point de nouvelles techniques d’extraction de propriétés physiques fondamentales à partir de données astronomiques » [traduction], que Kendrick Smith a été l’un des lauréats d’un prix Nouveaux Horizons en physique 2020.

À la tête d’une petite équipe de l’Institut Périmètre comprenant l’informaticien Dustin Lang, les étudiants Masoud Rafiei-Ravandi et Utkarsh Giri, ainsi que l’assistante de recherche Maya Burhanpurkar, M. Smith a mis au point plusieurs algorithmes révolutionnaires pour trier et analyser les données du télescope CHIME. Lui et son équipe ont ensuite mis en œuvre ces nouveaux outils mathématiques sous forme de logiciel. Cela a donné un outil de recherche de SRR fonctionnant 100 fois plus vite que tout ce qu’on pouvait espérer, et le télescope CHIME est devenu le meilleur chasseur de SRR au monde. « Nous avons fondamentalement transformé la radioastronomie de précision en un problème de logiciel » [traduction], dit M. Smith.

À l’automne 2017, alors qu’il était encore dans sa phase de mise en route, le télescope CHIME a commencé à repérer des SRR. En janvier 2019, l’équipe du télescope CHIME a fait les manchettes — y compris la page couverture de la revue Nature — avec la découverte d’un premier lot de 13 SRR, dont un répéteur. En août, elle a annoncé la découverte d’autres SRR, en nombre beaucoup plus grand et comportant, ce qui est peut-être le plus excitant, 8 autres répéteurs.

« Nous pouvons trouver en quelques jours davantage de SRR que nous n’en avions vu en plusieurs années de travail intense, dit M.  Smith. Cela change complètement la donne. » [traduction]

Ces découvertes alimentent l’étude des SRR. Par exemple, l’équipe du télescope CHIME commence à voir les différences entre les SRR qui se répètent et ceux pour lesquels on n’a pas encore observé de répétition. Une percée à ce sujet semble imminente.

« Je crois que la prochaine année sera marquante en ce qui concerne les SRR », a déclaré Victoria Kaspi, astrophysicienne à l’Université McGill, dans une entrevue accordée à CBC News. Mme Kaspi est membre de l’équipe du télescope CHIME et experte des phénomènes radio transitoires tels que les SRR. « Aurons-nous une réponse d’ici un an? Je ne sais pas. Peut-être. Mais je crois que d’ici un an nous aurons fait des progrès importants. » [traduction]

Avec l’accélération du rythme de découverte, l’étude des SRR avance maintenant à pas de géant.

– Avec des notes de Stephanie Keating

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