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Le télescope EHT : un éclairage nouveau sur les trous noirs

Comme un photographe de la faune à la recherche d’un animal inaccessible dans un territoire non cartographié, Avery Broderick est déterminé à prendre une photo d’un monstre connu pour ne pas aimer se faire photographier.

Avery Broderick veut capter la première image d’un trou noir. Et il n’est pas seul dans cette aventure.

M. Broderick est membre de l’équipe du télescope EHT (Event Horizon Telescope – Télescope Horizon des événements), collaboration scientifique qui s’étend sur plusieurs continents et de nombreuses disciplines, unissant des centaines de chercheurs dont l’objectif commun est de capter l’image d’un trou noir et de révéler les secrets qui se cachent derrière le point de non-retour qu’est son horizon des événements.

Le télescope EHT est un réseau planétaire de radiotélescopes qui, ensemble, forment essentiellement un télescope de la taille de la Terre. Heureusement, et presque par nécessité étant donné la complexité du projet, les scientifiques de ce projet travaillent également très bien ensemble.

C’est pourquoi Avery Broderick en a invité une centaine à la conférence EHT 2014 qui s’est tenue à l’Institut Périmètre en novembre dernier. C’était une conférence cruciale, car l’équipe du projet EHT devrait commencer à recueillir cette année des données sur Sagittaire A*, le trou noir supermassif que l’on croit être le moteur de notre galaxie, la Voie lactée.

M. Broderick dirige aussi la nouvelle initiative EHT de l’Institut Périmètre, dans le cadre de laquelle une équipe de plus en plus nombreuse de chercheurs analysera les torrents de données qui proviendront bientôt du télescope EHT. Dans une entrevue accordée à Dans le périmètre, Avery Broderick explique comment — et pourquoi — lui et ses collègues sont déterminés à examiner la bête gravitationnelle.

Dans le périmètre : Quel est votre rôle dans le projet du télescope EHT?

Avery Broderick : On ne me laisse pas toucher aux télescopes, et c’est une bonne chose. J’obtiens ce que j’aime appeler des « données à forte valeur ajoutée ». Un certain nombre de radioastronomes et d’excellents scientifiques prennent les données brutes qui ont été recueillies, les traitent avec toutes sortes d’algorithmes, s’assurent que tous les détails y sont, puis me donnent quelque chose de très simplifié mais qui code la structure physique de l’image qu’ils ont vue. Mon travail consiste à exploiter tout ce que nous savons à propos des trous noirs pour construire des modèles à comparer à ces structures d’image, puis, à partir de cette comparaison, déterminer ce que nous ne savons pas et expliquer les parties que nous ne comprenons pas. Entre autres, évidemment, il faut comprendre la gravité tout près de l’horizon des événements, là où les matériaux entrent dans le trou noir.

Dans le périmètre : On s’attend à ce que le télescope EHT nous donne la première image d’un trou noir. Jusqu’à quel point est-ce important?

Avery Broderick : Les images ont sur nous un fort impact viscéral. À partir d’un très jeune âge, nous développons notre capacité à voir le monde qui nous entoure. Lorsque nous voyons quelque chose, nous établissons en quelque sorte un lien avec cette chose. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’astronomie est si plaisante. Quand je montre des images à des gens, ils comprennent en grande partie immédiatement de quoi je parle. Mais si l’on veut savoir comment les choses fonctionnent, si l’on veut atteindre les principes scientifiques fondamentaux qui animent le projet EHT, si l’on veut trouver les raisons pour lesquelles on fait tout cela, une image ne suffit pas. Il faut interpréter cette image. Il faut examiner les caractéristiques intéressantes de l’image et déterminer les lois physiques qui expliquent leur apparence. Cela suppose donc une contribution importante des personnes qui modélisent ces systèmes. L’intrant des théoriciens est important pour analyser ces données. Sans ces théoriciens, il est beaucoup plus difficile de passer de l’image à la science.

Dans le périmètre : À titre de théoricien, que vous attendez-vous à apprendre à partir des données du télescope EHT?

Avery Broderick : Eh bien, je ne sais pas. Ce pourrait être toutes sortes de choses. Par exemple, nous ne savons pas pourquoi le trou noir situé au centre de notre galaxie brille, mais nous avons plusieurs idées. Nous ne savons pas s’il brille parce qu’il émet un jet ou parce qu’il y a un flux d’accrétion. Il faut que ces 2 processus soient étroitement liés. Nous ne savons pas lequel de ces 2 processus est le déclencheur. C’est un peu comme de ne pas savoir si nous voyons les phares ou les clignotants d’une voiture. Cette image nous permettra de le savoir. Une autre chose que nous espérons pouvoir faire, en mesurant la forme de cette ombre et en étudiant la dynamique de la matière qui tourne autour du trou noir, est de tester la relativité générale au voisinage des trous noirs. Si nous voyons quelque chose de bizarre, nous saurons qu’il faut chercher quelque chose d’autre. Sinon, nous saurons qu’Einstein avait raison.

Dans le périmètre : Et que se passera-t-il si Einstein a eu tort?

Avery Broderick : Pour commencer, nous allons fêter, car ce serait très excitant. C’est à ce moment-là qu’il faudrait se mettre sérieusement au travail. C’est pour cela qu’il faut un endroit comme l’Institut Périmètre, parce qu’il faudrait trouver la théorie qui remplacerait la relativité générale. L’hypothèse implicite est toujours que la relativité générale constitue la bonne théorie de la gravitation. Einstein a presque certainement raison; historiquement, ça n’a jamais été une bonne idée de mener une carrière en supposant qu’Einstein avait tort. D’autre part, il se pourrait qu’il ait eu tort. Peut-être constaterons-nous que la relativité générale ne fonctionne pas au voisinage de l’horizon des événements des trous noirs. Et il n’y aurait alors aucune limite. Avec les trous noirs, il y a une probabilité réelle de constater que notre compréhension de la physique fondamentale est totalement erronée. Chaque fois que quelqu’un s’aventure en dehors des sentiers battus, il en revient avec quelque chose de nouveau, d’intéressant et de complètement inattendu. Les trous noirs nous offrent la possibilité de faire cela. C’est de l’exploration dans le sens le plus vrai du terme, et nous ne savons pas ce que nous allons trouver.

Dans le périmètre : Est-ce cela qui vous motive, l’exploration?

Avery Broderick : Certaines personnes aiment aller au bureau tous les jours. Pour ma part, j’aime faire des vols fantaisistes dans des vaisseaux spatiaux. C’est ce que je fais. Je voyage vers les étoiles et je vois les phénomènes physiques les plus étranges que nous puissions comprendre à l’heure actuelle. C’est mon travail. Malheureusement, je ne fais cela ni dans un vaisseau spatial, ni dans un train. Je le fais sur des ordinateurs et je regarde dans des télescopes. Mais c’est ma manière d’explorer. Je crois que l’exploration est un désir humain fondamental. Nous voulons tous aller vers l’inconnu et savoir ce qu’il y a là-bas. Ce n’est pas à nous de décider de ce qui est exact. Cela revient à la nature. Cela revient aux observations.

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