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Tic tac à la recherche de matière sombre

Maxim Pospelov, professeur associé à l’Institut Périmètre, vient de proposer une nouvelle méthode pour trouver de la matière sombre à l’aide d’horloges atomiques.

Les physiciens sont convaincus de l’existence de la matière sombre. En se fondant sur la détection de ses effets gravitationnels à grande échelle, ils en déduisent qu’elle constitue environ un quart de tout ce que contient l’univers – soit 5 à 6&bnsp;fois plus que la matière ordinaire1.

Plus près de nous, on croit généralement que la densité de matière sombre dans notre système solaire correspond approximativement à un proton pour 3&bnsp;centimètres carrés – soit environ 8&bnsp;milliards de tonnes à l’intérieur de l’orbite de la Terre.

Cependant, même si elle semble omniprésente au tour de nous, nous savons peu de chose sur la matière sombre. Nous avons pu exclure un certain nombre de possibilités&bnsp;: la matière sombre n’est pas constituée de nuages de matière ordinaire; ce n’est pas de l’antimatière; elle ne se cache pas dans d’énormes trous noirs.

La plupart des chercheurs pensent que la matière sombre est probablement formée d’un type de particule exotique, présente partout mais capable d’interagir avec nous que de manière faible – une sorte d’univers fantôme hantant l’univers que nous connaissons. Mais tous nos efforts pour détecter ne serait-ce qu’une telle particule fantôme sont restés vains jusqu’à ce jour2.

Tout cela suscite d’importantes questions&bnsp;: Et si la matière sombre n’était pas formée de particules? Et si elle ne ressemblait en rien à notre conception de la matière?

Maxim&bnsp;Pospelov, professeur associé à l’Institut Périmètre, et son collaborateur Andrei Derevianko, de l’Université du Nevada, abordent précisément cette possibilité dans un article récemment publié dans la revue Nature Physics. Au lieu d’être constituée de particules, la matière sombre pourrait-elle être formée de structures stables dans un champ envahissant tout l’espace-temps?

Imaginez un champ comportant des fissures, comme une vitre de sécurité fissurée. Le champ lui-même pourrait être indétectable, tout comme un verre parfaitement clair est invisible. Mais les fissures contenues dans le champ sont différentes. Tout comme on peut voir les fissures dans une vitre, on pourrait peut-être détecter les fissures présentes dans le champ.

Selon les chercheurs, nous pourrions peut-être même détecter ces fissures à l’aide d’instruments que nous possédons déjà&bnsp;: horloges atomiques, interféromètres laser, détecteurs d’ondes gravitationnelles.

Cette manière d’aborder la matière sombre – en tant que fissure dans un champ envahissant l’espace-temps – est décrite par le terme matière sombre topologique, et les fissures elles-mêmes sont qualifiées de défauts topologiques. On peut considérer ces défauts topologiques comme constituant une toile de fond plus ou moins stationnaire de l’univers, et imaginer que la Terre heurte cette toile à une vitesse liée à la rotation de la Galaxie – soit environ 300&bnsp;kilomètres par seconde. D’un point de vue terrestre, ces défauts topologiques auraient l’air de nous toucher comme des toiles d’araignées dans un vent galactique.

Selon MM. Pospelov et Derevianko, lorsqu’une horloge atomique rencontre un défaut topologique, elle pourrait ralentir ou accélérer, selon la nature de l’interaction qui survient. Cela n’est pas en soi très utile&bnsp;: cet effet serait extrêmement petit et perdu dans les variations inhérentes aux horloges même les meilleures.

Mais si l’on disposait d’un réseau d’horloges atomiques, une rencontre avec un défaut topologique se traduirait par une onde de tels ralentissements ou accélérations. Cette onde traverserait le système à la vitesse caractéristique de 300&bnsp;kilomètres par seconde. C’est cet effet, plutôt que la perturbation de chacune des horloges, qui serait détectable.

L’intérêt de cette méthode de détection vient de ce que plusieurs réseaux d’horloges atomiques sont déjà en fonction. Par exemple, les quelque 30&bnsp;satellites du système de géopositionnement satellitaire (GPS) ainsi que d’autres satellites de navigation transportent tous une horloge atomique. Les horloges atomiques situées sur terre et celles des laboratoires de recherche en chronométrie ne sont pas aussi bien réseautées, mais elles sont beaucoup plus sensibles. L’un ou l’autre réseau pourrait le cas échéant servir à la détection de défauts topologiques.

À quoi un signal de défaut topologique ressemblerait-il? Les chercheurs ont calculé que la traversée d’un défaut topologique de matière sombre par les satellites qui entourent la Terre entraînerait un défaut caractéristique de synchronisation des horloges du système GPS sur une durée d’environ 3&bnsp;minutes.

Lorsque la nouvelle idée de MM.&bnsp;Pospelov et Derevianko a été initialement exposée à un certain nombre de conférences l’an dernier, elle a suscité beaucoup d’intérêt et une vague de propositions de projets d’analyse de données. Elle a notamment fait l’objet de discussions approfondies lors de l’atelier New Ideas in Low-Energy Tests of Fundamental Physics (Nouvelles idées sur les tests à basse énergie en physique fondamentale) qui s’est tenu à l’Institut Périmètre en juin&bnsp;2014.

Les deux auteurs eux-mêmes travaillent à faire passer l’idée de la théorie à l’expérimentation. Andrei&bnsp;Derevianko collabore avec des chercheurs du Laboratoire géodésique du Nevada, qui a mis au point et maintient le plus grand centre de traitement de données du système GPS au monde. Ces scientifiques rechercheront des signatures de défauts topologiques dans les horloges atomiques du système GPS. Maxim&bnsp;Pospelov travaille avec des scientifiques du détecteur d’ondes gravitationnelles LIGO, afin de calculer à quoi ressemblerait un défaut topologique traversé par des interféromètres situés à 3&bnsp;500&bnsp;kilomètres l’un de l’autre.

Au bout du compte, la matière sombre est-elle vraiment de la matière, ou prend-elle la forme de fissures dans un champ exotique et invisible? Dans ce cas-ci, c’est peut-être le temps qui le dira.

– Erin&bnsp;Bow

 

[1] Les quelque 68&bnsp;% restants du budget énergétique total de l’univers sont constitués de l’énergie sombre, à propos de laquelle nous ne savons presque rien.

[2] Il faut préciser ici ce que l’on entend par « détecter de la matière sombre ». La plupart des physiciens diraient que nous avons déjà détecté la matière sombre, de par ses effets gravitationnels. Ce que nous avons recherché sans succès jusqu’à ce jour, c’est un effet non gravitationnel de la matière sombre. L’interaction gravitationnelle seule ne nous apprend pas grand-chose – elle ne permet pas de faire la distinction entre des objets de la taille des électrons et d’autres de la taille de petits astéroïdes, ce qui nous laisse vraiment dans le noir à propos de la matière sombre. Presque tous nos efforts de détection non gravitationnelle de la matière sombre portent sur la recherche de particules microscopiques, sans résultat jusqu’à maintenant. Fait intéressant, ces méthodes sont totalement inadaptées à la détection de paquets de matière sombre plus gros qu’une particule de poussière – soit la forme sous laquelle la matière sombre pourrait se présenter sans avoir été détectée à ce jour.

 

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