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Les gens de l’IP — L’esprit généreux de Carlo Rovelli

Auteur, mentor et chercheur de renom, Carlo Rovelli occupe un nouveau poste à titre de chercheur invité distingué de l’Institut Périmètre. Fondateur d’un domaine de recherche, il a de nouvelles idées sur le sort ultime des trous noirs.

Les citations de cet article sont traduites d’une entrevue qu’il a accordée en anglais.

Carlo Rovelli

Voici Carlo Rovelli. Il veut retourner les trous noirs comme des vestes.

Vous avez peut-être déjà entendu parler de lui. Il est l’auteur de l’un des ouvrages de vulgarisation scientifique les plus populaires de tous les temps : Seven Brief Lessons on Physics. Ce livre aborde la physique moderne sur une centaine de pages savoureuses. Il a été traduit en 41 langues, dont le français sous le titre Sept brèves leçons de physique, et s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires.

Vous avez pu aussi en entendre parler comme de l’un des fondateurs de la gravitation quantique à boucles, théorie plausible dans la quête qui vise depuis 80 ans l’unification de la relativité générale et de la mécanique quantique.

M. Rovelli demeure actif comme auteur et chercheur. Il a publié 2 autres livres depuis Sept brèves leçons de physique et il en a un autre en chantier. Ses travaux sur la gravitation quantique à boucles continuent de définir ce domaine, rien de moins.

Comment parvient-il à un équilibre dans tout cela? « Mal, dit-il en riant. Je travaille sur toutes sortes de choses, et ça me pose des problèmes. Mais ce qui occupe principalement mon esprit est une transition de trou noir à trou blanc.

« Un trou blanc, poursuit M. Rovelli, est une sorte de contraire d’un trou noir. Au lieu de tomber dedans, des choses en sortent. »

Carlo Rovelli croit que les trous noirs deviennent des trous blancs en vieillissant. « Au bout du compte, dit-il, tout ce qui tombe dans un trou noir ressortira du trou blanc. » Avec ses collaborateurs, il travaille « sur une théorie, sur l’astrophysique et sur la cosmologie des trous blancs. Nous essayons de voir, poursuit-il, si ces trous blancs peuvent être visibles dans l’univers — et si nous pouvons les observer. »

La gravitation quantique à boucles à l’intérieur d’un trou noir

Le parcours de Carlo RRovelli vers la physique des trous blancs est long et sinueux.

« J’ai lancé la gravitation quantique à boucles avec Lee Smolin dans les années 1980, se souvient-il. J’ai passé une grande partie de ma vie à construire cette théorie et à contribuer à la faire fonctionner. Nous avons maintenant une grande théorie qui est très belle, et tout le reste; mais nous voulons qu’elle serve à quelque chose. Nous voulons la relier à des choses que nous pouvons voir dans l’univers. »

Selon lui, les trous noirs sont un lieu où il est naturel de chercher. C’est parce que la gravitation quantique à boucles tente d’unifier la relativité générale et la mécanique quantique, et que les physiciens doivent utiliser en même temps les deux théories dans les trous noirs.

La mécanique quantique enseigne que l’univers est fait de morceaux qui ont une certaine taille minimale, un peu comme une image numérique est faite de pixels. À l’échelle courante — celle des chaises et des tables —, les choses semblent lisses, mais si l’on zoome suffisamment, les pixels deviennent bien visibles. Ces pixels — ces morceaux les plus petits possible — sont appelés quantums. En latin, l’adjectif neutre quantum signifie « combien de », et le nom quantum signifie « quantité ».

D’autre part, la relativité générale est une théorie de la gravitation. Elle enseigne que l’espace et le temps ne sont pas des vides dans lesquels la gravité s’exerce : l’espace-temps est plutôt la gravitation elle-même, une sorte de tissu qui s’étire et se courbe là où il y a une masse, forçant cette masse à se déplacer le long de sa courbure.

La relativité générale est une théorie fructueuse, mais ce n’est pas une théorie quantique : peu importe jusqu’où l’on zoome dans le tissu de l’espace-temps de la relativité générale, on ne voit aucune couture, aucun pixel n’apparaît. De nombreux physiciens croient que pour unifier la relativité générale et la mécanique quantique, il faut trouver un certain « quantum » d’espace-temps, un certain plus petit morceau possible de gravitation. La gravitation quantique à boucles est une théorie dans laquelle les quantums d’espace-temps sont des boucles de champs gravitationnels à l’échelle de Planck.

Voyons cela dans le contexte des trous noirs. La relativité générale prédit que lorsqu’une étoile en fin de vie s’effondre sous son propre poids, elle modifie la courbure de l’espace-temps qui l’entoure.

On invite souvent les étudiants qui apprennent la relativité à imaginer l’étoile comme une boule de jeu de quilles et l’espace-temps comme une feuille de caoutchouc : à mesure que l’étoile s’effondre, la boule de jeu de quilles devient successivement une balle de tennis, puis une bille, tout en conservant le même poids. Le creux produit par la bille est différent de celui qui est produit par la boule de jeu de quilles : il est plus étroit mais en plus forte pente. À un certain point, la pente devient si prononcée que rien, même pas la lumière, n’a une quantité de mouvement suffisante pour pouvoir la remonter.

Le point où la pente devient aussi prononcée s’appelle l’horizon des événements. Nous ne pouvons pas voir ce qui se passe au-delà de cet horizon, parce qu’aucun signal ne peut remonter la pente. La prédiction traditionnelle de la relativité générale est que l’étoile continue de se contracter. Caché derrière l’horizon des événements, l’espace-temps continue de s’incurver d’une manière de plus en plus prononcée, comme un entonnoir, jusqu’à ce que l’étoile ait une densité infinie et que l’espace-temps soit infiniment incurvé et forme un point. Ce point, que l’on appelle une singularité, est comme un lieu où il y aurait une division par zéro : les lois de la physique n’y ont plus de sens.

Comme de nombreux autres physiciens, Carlo Rovelli croit qu’avant que l’entonnoir de l’espace-temps ne se rétrécisse jusqu’à former un point, des effets quantiques prennent le dessus. Si l’espace-temps lui-même a une taille minimale, la gravité ne peut l’incurver de manière plus serrée que cette taille minimale. Les effets quantiques empêchent la singularité de se former.

Mais que se passe-t-il alors?

Un rebond quantique transforme un trou noir en un trou blanc

Selon M. Rovelli, lorsqu’une étoile s’effondre, l’espace-temps à l’intérieur de l’horizon des événements s’incurve et se creuse : « On obtient un puits, un tube qui devient sans cesse de plus en plus long et étroit. » Selon ses calculs, à un certain point, le système atteint une limite quantique sur la longueur et l’étroitesse que le tube peut avoir. C’est alors que le système rebondit, et que le trou noir devient un trou blanc.

« Un trou blanc est le contraire d’un trou noir, dit M. Rovelli. C’est un tube qui raccourcit — une masse qui remonte. Imaginez que vous filmez la formation d’un trou noir. Si vous projetez le film en sens inverse, vous avez un trou blanc. »

Lorsque le fond du tube atteint l’horizon des événements, tout ce qui est entré dans le trou noir sort du trou blanc. Bref, celui-ci explose.

Il est à noter qu’il s’agit là d’un point de vue minoritaire. Même si les trous blancs constituent certainement une solution mathématique aux équations de la relativité générale, la plupart des physiciens sont convaincus que les trous blancs n’existent pas dans la nature. M. Rovelli n’en est pas si certain.

« Les trous blancs ne sont pas une nouveauté. Ils sont prédits par la théorie d’Einstein. Personne ne croit qu’ils existent réellement dans l’univers. Mais c’était la même chose pour les trous noirs : personne ne croyait qu’ils existaient réellement dans l’univers. Je soupçonne que nous vivons la même histoire. Cela commence par la description théorique d’un objet étrange, puis certains se mettent à penser que cela pourrait exister dans la réalité. Les trous noirs se sont avérés réels, et je crois que ça pourrait être la même chose pour les trous blancs. »

Observer des trous blancs

À quoi un trou blanc ressemblerait-il? Pendant la plus grande partie de sa vie, il ressemblerait à un trou noir, et toutes les différences seraient dissimulées derrière l’horizon des événements. Mais à la fin de sa vie, un trou blanc ressemblerait à une explosion — une explosion que l’on pourrait peut-être détecter.

Depuis plusieurs années, Carlo Rovelli et ses collègues essaient de déterminer à quoi une telle explosion pourrait ressembler.

Ils ont plusieurs hypothèses, dont l’une fait un lien entre les trous blancs et les sursauts radio rapides, et une autre fait un lien entre les trous blancs et la matière sombre. « Nous ne le savons pas encore, dit M. Rovelli, mais je vais vous raconter la meilleure partie de cette histoire.

« Une étoile s’effondre et forme un trou noir. Pendant très longtemps, rien ne change; peut-être des milliards d’années plus tard, le trou noir devient un trou blanc. Mais si vous tombiez dans un trou noir, vous franchiriez très rapidement la transition vers un trou blanc et vous ressortiriez très bientôt. Pour vous, il s’écoulerait moins d’une milliseconde, mais pour les gens de l’extérieur ce seraient des milliards d’années. »

Cela est possible parce que, selon la relativité générale, le temps passe plus vite à proximité de grandes masses. « D’après la relativité générale, explique M. Rovelli on vieillit plus vite en montagne qu’en plaine. Il s’agit du même effet, sauf que la différence n’est pas d’une fraction de seconde sur plusieurs siècles, comme entre la montagne et la plaine. La différence est énorme.

« Si cela est exact, alors un trou noir est une sorte de raccourci vers l’avenir. Vous tombez dedans, puis vous en ressortez immédiatement dans l’avenir. »

Prenons le cas des trous noirs primitifs, que l’on n’a pas encore observés mais dont on croit qu’ils se sont formés dans la première fraction de seconde suivant le Big Bang. Si l’hypothèse formulée par Carlo Rovelli de la transition de trou noir à trou blanc est vraie et que la chronologie est favorable, il se pourrait que les trous noirs primitifs atteignent plus ou moins maintenant le stade de l’explosion marquant la fin de leur vie.

« Si ces trous noirs se sont formés dans l’univers primitif, ce qui est tombé dedans était très chaud, dit M. Rovelli. Donc, lorsqu’ils explosent, ce qui en sort consiste en des photons de très haute énergie. »

Ce pourrait selon lui être la source des mystérieux rayons cosmiques de très haute énergie qui frappent la Terre avec une énergie des milliards de fois supérieure à celle de nos meilleurs collisionneurs de particules.

Un nouveau rôle

Trous noirs, trous blancs, explosions, voyage dans le temps — voilà toute une histoire. Mais avec Carlo Rovelli, elle est entre les mains de l’un des meilleurs conteurs en physique. Et même s’il croit que les trous blancs constituent une avenue de recherche prometteuse, il a aussi un nouveau livre à écrire. Et il doit rester à jour dans le domaine de la gravitation quantique à boucles. Et il veut aussi rester en contact avec ses collègues et ses amis. « J’aime tout cela, dit-il. Absolument tout. Je devrais peut-être en faire moins, mais comment le pourrais-je? »

C’est donc tout naturellement qu’il a accepté un rôle supplémentaire, celui de titulaire d’une chaire de chercheur invité distingué de l’Institut Périmètre. Ces titulaires sont d’éminents scientifiques qui font des séjours prolongés à l’Institut tout en conservant leur poste permanent dans leur institution d’appartenance — dans le cas de M. Rovelli, l’Université d’Aix-Marseille, en France.

« Je crois que je vais passer plus de temps à l’Institut Périmètre, dit-il. Il y a beaucoup de gens avec qui je peux travailler. En particulier des jeunes chercheurs. »

Ravi, il raconte comment il est entré dans le bâtiment à 10 h et n’a pas pu arriver à son bureau avant 14 h : « Il y avait sans cesse des étudiants qui venaient à ma rencontre pour parler de ce leurs travauxr, et ils avaient des idées fantastiques. Le milieu est très dynamique ici. Je crois que je vais m’y plaire. »

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