Now reading: Une puissante dualité en physique mathématique
Menu
Fermer
Fermer

Une puissante dualité en physique mathématique

Kevin Costello, de l’Institut Périmètre, et Natalie Paquette, de l’Université de l’État de Washington, combinent l’holographie twistée et l’holographie céleste. Les citations de cet article sont traduites de propos que les deux chercheurs ont tenus en anglais.

Two researchers, a woman and a man, working together at a blackboard

La dualité est une incroyable combinaison « deux en un » de la physique.

Chaque fois que l’on peut relier mathématiquement deux aspects de la nature — l’électricité et le magnétisme, des particules et des ondes, la théorie des champs de particules et la théorie de la gravitation —, il peut en résulter des théories nouvelles et unifiées de la nature.

Mais des collaborations de recherche peuvent constituer en elles-mêmes de puissantes dualités.

C’est le cas du duo de chercheurs formé de Kevin Costello, physicien mathématicien titulaire de la chaire Krembil-William-Rowan à l’Institut Périmètre, et de Natalie Paquette, physicienne mathématicienne à l’Université de l’État de Washington à Seattle.

Mme Paquette vient souvent à l’Institut Périmètre à titre d’adjointe invitée et y a fait un séjour de recherche en novembre dernier.

Les deux scientifiques sont originaires de lieux très différents et ne sont pas venus de la même manière aux mathématiques et à la physique.

Kevin Costello est né à Cork, en Irlande. Natalie Paquette a grandi à Utica, dans l’État de New York. M. Costello était captivé dès son enfance par des énigmes mathématiques. Mme Paquette dit qu’elle ne s’intéressait pas vraiment aux mathématiques et à la physique, jusqu’à ce qu’elle suive un cours avancé de physique au secondaire et qu’elle se découvre une passion pour le domaine.

Mais les deux ont fini par être attirés par le pouvoir envoûtant de la physique mathématique, qu’ils utilisent pour résoudre les énigmes de la nature.

Les deux physiciens mathématiciens sont en train de combiner une théorie, appelée holographie twistée, sur laquelle ils travaillent depuis quelques années, avec une théorie prometteuse plus récente appelée holographie céleste.

Deux scientifiques, une femme et un homme, travaillant ensemble à un tableau noir
Natalie Paquette et Kevin Costello

Ils espèrent qu’un beau mariage de ces deux idées remarquables constituera un progrès dans la quête, longue de plusieurs décennies, d’une théorie unifiée de la gravitation quantique.

Leur article intitulé Celestial holography meets twisted holography: 4d amplitudes from chiral correlators (Rencontre de l’holographie céleste et de l’holographie twistée : amplitudes 4D de corrélateurs chiraux) a été publié en octobre dans le Journal of High Energy Physics.

L’holographie twistée et l’holographie céleste sont deux développements de la dualité holographique, concept remarquable mis de l’avant en 1997 par Juan Maldacena comme voie possible pour unifier les deux grands piliers de la physique moderne : la relativité générale d’Albert Einstein, notre meilleure description de la gravité et de l’espace-temps, et la théorie quantique des champs, notre meilleure description des particules et des forces qui agissent entre elles.

Aussi fructueuses soient-elles dans leurs domaines respectifs, ces deux théories ne parlent pas la même langue. Ce n’est pas facile de les unifier, car l’une décrit un espace-temps continu et lisse, alors que l’autre décrit des paquets discrets d’énergie.

La dualité holographique facilite le pont entre les deux, en postulant une relation — semblable à un hologramme — entre la gravité dans une région d’espace-temps à courbure négative appelée espace anti-de Sitter et une théorie conforme des champs qui décrit les particules aux limites de cette région.

« On peut concevoir un espace anti-de Sitter (AdS) comme une boîte de conserve, explique Mme Paquette : si une personne vivant au milieu d’un espace AdS projette un faisceau lumineux, la lumière atteindra en un temps limité la frontière de l’espace AdS. »

Maldacena parlait d’un « univers dans une bouteille ».

Même si cela facilite l’établissement d’un lien entre les particules et la gravité, le problème est que nous ne vivons pas dans une boîte de conserve ou dans une bouteille.

Des mesures modernes ont amené les cosmologistes à conclure que l’univers est approximativement plat (avec peut-être une légère courbure positive). Contrairement à une boîte de conserve ou à une bouteille, un espace-temps « plat » suppose une géométrie spatiale euclidienne, où des droites parallèles sont toujours parallèles et ne se rencontrent jamais.

Idéalement, les scientifiques aimeraient avoir un modèle plus proche de l’espace-temps plutôt plat dans lequel nous vivons.

L’holographie céleste pourrait les amener dans cette direction.

Cette théorie plus récente remplace la bouteille ou la boîte de conserve par une sphère céleste. Cette notion remonte à la Grèce antique, où en regardant les étoiles dans le ciel nocturne on imaginait un globe entourant la Terre, avec les étoiles sur la paroi intérieure de ce globe.

En holographie céleste, la frontière de la sphère céleste de l’univers est à une distance infinie, ce qui donne à l’espace-temps contenu à l’intérieur un aspect essentiellement plat.

L’expression mathématique de cette idée a été mise de l’avant par Andrew Strominger et ses collaborateurs de l’Université Harvard. L’Institut Périmètre a eu la chance de recruter au sein de son corps professoral Sabrina Pasterski, qui faisait partie de cette équipe. Elle a mis sur pied en 2021 l’Initiative sur l’holographie céleste où, à titre de chercheuse principale, elle dirige une équipe de scientifiques dans les domaines des amplitudes, de la physique mathématique et de la gravitation quantique, dans un effort concerté visant à unifier notre compréhension de l’espace-temps et la physique quantique, en codant notre univers sous forme d’un hologramme.

« Il y a environ un an, dit M. Costello, Natalie et moi avons commencé à penser que l’holographie twistée serait une manière de concevoir l’holographie céleste. »

L’idée d’« espace de twisteurs » a été avancée par Roger Penrose il y a environ 55 ans, en 1967. Dans la théorie des twisteurs, les points géométriques dans l’espace sont remplacés par des twisteurs — entités qui ressemblent à des formes étirées semblables à des rayons lumineux. L’espace et le temps sont tricotés ensemble aux points de rencontre des twisteurs.

Penrose croyait que la notion d’espace de twisteurs conduirait à une théorie de la gravitation quantique, mais cette notion n’a pas permis de progresser sensiblement dans cette direction.

Par contre, des théoriciens des cordes tels qu’Edward Witten, professeur émérite à l’Université de Princeton et l’un des principaux théoriciens des cordes au monde, ont élaboré une théorie des cordes à twisteurs et des « théories des champs supersymétriques à twisteurs » faisant appel à la supersymétrie, extension du modèle standard de la physique des particules. Ces théories des champs sont extrêmement utiles pour effectuer des calculs mathématiques dans le cadre de la théorie des cordes.

Kevin Costello a ajouté à cela l’holographie, pour produire ce que lui et ses collaborateurs, dont Davide Gaiotto, titulaire de la chaire Krembil-Galilée de physique théorique à l’Institut Périmètre, ont appelé en anglais twisted holography (holographie twistée).

L’holographie twistée sur laquelle M. Costello et Mme Paquette travaillent depuis quelques années ne requiert pas nécessairement un espace de twisteurs. Mais les deux chercheurs ont constaté que lorsqu’ils appliquent l’holographie twistée à un espace de twisteurs, elle ressemble alors beaucoup à l’holographie céleste.

« C’est une bonne surprise », dit M. Costello. Il ajoute que cela a du sens, parce que Penrose pensait à la sphère céleste lorsqu’il a élaboré sa théorie des espaces de twisteurs : « L’espace de twisteurs est en quelque sorte construit pour la sphère céleste. »

Tout cela fonctionne grâce aux équations de supersymétrie. On peut utiliser ces équations dans ce « terrain de jeu géométrique » pour arriver à quelque chose de « beaucoup plus physique et applicable au monde réel », dit Mme Paquette.

« On peut effectivement arriver à quelque chose de très voisin de l’espace-temps que l’on pourrait vouloir étudier », ajoute M. Costello.

Leurs recherches se poursuivent. Plus récemment, M. Costello et Mme Paquette ont collaboré avec Atul Sharma, de l’Université d’Oxford, à un article paru en prépublication et intitulé Top-down holography in an asymptotically flat spacetime (Holographie descendante dans un espace-temps asymptotiquement plat).

Les travaux de M. Costello et de Mme Paquette ne sont pas seulement utiles pour comprendre la gravitation quantique.

Leur article intitulé On the associativity of one-loop corrections to the celestial OPE (Association des corrections à une boucle sur l’expansion céleste des produits d’opérateurs) et publié en décembre dans Physical Review Letters porte sur la diffusion de particules (c.-à-d. sur les amplitudes de diffusion), qui concernent des expériences effectuées dans le grand collisionneur de hadrons.

Dans cet article, la quantité de mouvement des particules est déterminée par un point de la sphère céleste, et est donc liée à l’holographie céleste. « Selon moi, dit M. Costello, c’est utile car je veux comprendre et calculer des amplitudes de diffusion. »

Ultimement, ces travaux vont permettre d’approfondir notre compréhension de la nature, à l’échelle de l’infiniment petit comme à celle du cosmos.

« J’aime beaucoup la sensation que procure le fait de trouver un indice sur la structure formelle de la physique, que ce soit en gravitation quantique ou en théorie quantique des champs », dit Mme Paquette quand elle explique pourquoi elle aime la physique mathématique.

« C’est agréable de constater qu’un outil mathématique qui semble sortir de nulle part donne une manière très élégante et concise d’effectuer certains calculs. »

Contenu connexe

L’univers est-il un hologramme? Les chercheurs en holographie céleste, comme Ana-Maria Raclariu, de l’Institut Périmètre, explorent cette idée en tant que nouvelle manière d’aborder la gravitation quantique. Les citations de cet article sont traduites de propos tenus en anglais par Ana-Maria Raclariu.

/21 Jun 2022

Dans le domaine de la gravitation quantique, une nouvelle méthode facilite le travail avec des outils appelés mousses de spin. Des calculs qui prenaient auparavant des semaines se font maintenant en quelques secondes, et des simulations permettant de tester la théorie de la gravitation quantique à boucles sont pour la première fois à portée de main. Les citations de cet article sont traduites de propos tenus en anglais par Bianca Dittrich et Seth Asante.

/18 Oct 2021

Des physiciens du monde entier continuent de faire part de leurs recherches et de former des communautés scientifiques dans des conférences virtuelles. Mais que perd-on et que gagne-t-on avec ces activités en ligne? Les citations de cet article sont traduites d’entrevues en anglais avec Theo Johnson-Freyd, Stephanie Mohl, Bianca Dittrich et Silke Weinfurtner.

/28 Jul 2020