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À la recherche des reliques du Big Bang

Asimina Arvanitaki, de l’Institut Périmètre, et Savas Dimopoulos, chercheur invité, avancent qu’il pourrait y avoir un moyen d’utiliser la Terre elle-même pour trouver des neutrinos cosmiques issus du Big Bang.

Étudier les premiers instants de l’Univers, c’est un peu comme faire de l’archéologie. Il faut creuser pour trouver des reliques qui peuvent aider à dresser un portrait du passé lointain.

L’Institut Périmètre compte parmi ses archéologues cosmiques la professeure Asimina Arvanitaki, titulaire de la chaire Fondation-Stavros-Niarchos-Aristarque, et son collègue Savas Dimopoulos, professeur à l’Université Stanford et titulaire de la chaire Coril-Holdings-Archimède (à titre de chercheur invité) à l’Institut Périmètre.

Ensemble, ils ont proposé une expédition exigeante pour trouver les toutes premières reliques de l’Univers : les neutrinos du Big Bang, qui remontent à 13,8 milliards d’années, au moment où l’Univers n’était âgé que d’à peine une seconde.

La collaboration de longue date entre les deux chercheurs remonte à l’époque où Asimina Arvanitaki était étudiante diplômée à Stanford sous la direction de Dimopoulos, qui vient maintenant à l’Institut en tant que chercheur invité pour travailler avec elle et les étudiants qui y font de la recherche.

Dans l’un de leurs articles, récemment publié dans la revue Physical Review D, ils évoquent la possibilité d’utiliser la surface de la Terre et les phénomènes physiques de réfraction et d’ondes évanescentes pour amplifier les effets des neutrinos du Big Bang, et ainsi faire en sorte que leurs signatures puissent être détectées plus facilement.

Notre fond cosmologique recèle divers types de « fossiles ».

On connaît, par exemple, le fond diffus cosmologique ou la « lumière primordiale » qui a émergé du brouillard cosmique environ 380 000 ans après le Big Bang. Avant cela, l’Univers était une soupe chaude de particules, dans laquelle la lumière ne pouvait voyager librement, car elle y aurait dispersé les électrons libres. Ce n’est qu’une fois la soupe refroidie et les particules combinées que l’Univers est devenu plus transparent. Les images du fond diffus cosmologique recueillies par des instruments comme le satellite Cosmic Background Explorer de la NASA et le satellite Planck de l’Agence spatiale européenne montrent les fossiles de cette lumière primordiale.

Cependant, il existe aussi des particules fantomatiques appelées « neutrinos », qui nous parviennent sous diverses formes et de diverses sources.

On connaît, par exemple, les neutrinos solaires, nés du processus de fusion nucléaire dans le Soleil. Il existe aussi des neutrinos cosmiques de haute énergie, générés dans des « accélérateurs cosmiques » comme les trous noirs et les pulsars. Et il y a des antineutrinos électroniques de haute énergie, qui ont été détectés par l’observatoire de neutrinos IceCube à l’aide de milliers de capteurs enfouis sous la glace de l’Antarctique.

Or, les neutrinos du Big Bang qui intéressent Arvanitaki et Dimopoulos sont beaucoup moins énergiques et autrement plus insaisissables. Ils se déplacent si lentement qu’ils seraient environ 20 ordres de grandeur moins énergétiques que les particules de haute énergie détectées par l’observatoire IceCube, explique Arvanitaki.

Ces reliques sont prédites par le modèle standard du Big Bang et, bien qu’il existe des preuves indirectes de leur existence, elles n’ont pas été directement observées.

C’est ce que certains scientifiques tentent de faire. Par exemple, un groupe qui travaille sur le projet PTOLEMY (Princeton Tritium Observatory for Light, Early Universe Massive Neutrino Yield) tente d’utiliser le tritium, un isotope radioactif de l’hydrogène, pour détecter les neutrinos du Big Bang.

Cependant, Arvanitaki et Dimopoulos sont en train de raviver une approche que l’on a longtemps crue impossible. En effet, dans quelques articles datant d’il y a environ 40 ans, on avait conclu qu’il serait impossible de détecter les neutrinos du Big Bang au moyen de la Terre elle-même. Néanmoins, les deux chercheurs avancent qu’il pourrait y avoir un moyen de contourner les obstacles évoqués.

Selon leur hypothèse, la différence d’intensité entre la force faible qui régit les particules et celle qui régit les antiparticules entraînerait une sorte d’asymétrie qui générerait un « bouchon de circulation de neutrinos » autour de la planète.

« Pour simplifier, nous appellerons ces particules “neutrinos repoussés” et “antineutrinos attirés”. Les particules repoussées devraient être ralenties lorsqu’elles arrivent sur Terre, tandis que celles qui sont attirées devraient accélérer. Un tel ralentissement pourrait entraîner une réflexion partielle des neutrinos qui arrivent à incidence rasante et provoquer une accumulation responsable du “halo” qu’on observe près de la surface de la Terre », explique Asimina Arvanitaki.

Si l’on suit ce raisonnement, la Terre pourrait être utilisée comme une sorte de lentille qui amplifierait les effets de ce fond cosmologique de neutrinos. « La Terre nous donne gratuitement ce dont nous avons besoin », dit Asimina Arvanitaki, experte dans la conception d’idées expérimentales qui peuvent amener la physique au-delà du modèle standard à une fraction du coût des grands accélérateurs de particules, qui s’élève à plusieurs milliards de dollars.

Quiconque a fait des expériences avec des prismes connaît le phénomène de réfraction, soit la flexion de la lumière. Arvanitaki avance même que dans des circonstances favorables, certains de ces neutrinos fantomatiques qui passent normalement à travers la Terre seraient réfractés. « En particulier, l’asymétrie entre les particules et les antiparticules générerait une onde évanescente de neutrinos autour de la Terre, un peu comme un “halo de neutrinos” », précise-t-elle.

Les ondes évanescentes sont connues depuis l’Antiquité. Lorsque la lumière passe d’un milieu à haute réfraction (comme le verre) à un milieu à faible réfraction (comme l’eau) à un certain angle, elle peut se réfléchir sur cette seconde surface. Le même phénomène pourrait se produire avec les neutrinos.

« Il ne fait aucun doute que cet effet serait encore extrêmement difficile à détecter, mais la mesure dans laquelle il sera détectable dépendra de l’incidence rasante (l’angle sous lequel les neutrinos frappent la surface) », explique Arvanitaki.

« L’effet pourrait être davantage amplifié à certains endroits sur la Terre où le paysage est plat, comme les marais salants boliviens. Bien que nous soyons encore loin de pouvoir détecter des effets de cette ampleur, cette approche pourrait nous amener sur de nouvelles pistes pour la détection des neutrinos fossiles issus du Big Bang », dit-elle.

« Trouver une relique comme le fond cosmologique de neutrinos serait pour nous une découverte très excitante », ajoute Dimopoulos.

« Ce rayonnement fossile de neutrinos a été créé lorsque l’Univers était âgé d’une seconde », dit-il. « Ce serait comme reculer dans le temps de presque 14 milliards d’années pour voir comment les choses se sont passées à ce moment-là. »

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