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Des étincelles de découverte à la jonction de la théorie et de l’expérimentation

Une bourse Simons-Emmy-Noether a donné à la physicienne expérimentatrice Urbasi Sinha l’occasion de collaborer avec des théoriciens à l’Institut Périmètre. Les citations de cet article sont traduites de propos qu’elle a tenus en anglais.

Woman wearing a striped blouse standing in front of a chalkboard with equations

Pour Urbasi Sinha, la puissance de la physique se trouve à la rencontre de la théorie et de l’expérimentation.

Elle a débuté dans le monde pratique de l’expérimentation, en travaillant sur des dispositifs supraconducteurs quand elle était étudiante diplômée à l’Université de Cambridge.

Mme Sinha attribue à Raymond Laflamme, professeur associé à l’Institut Périmètre et directeur fondateur de l’Institut d’informatique quantique (IQC) de l’Université de Waterloo, le mérite de l’avoir orientée vers les possibilités d’avant-garde de l’informatique, des communications et de l’optique quantiques. « Il est l’une de ces personnes qui peuvent vraiment vous inspirer sans difficulté », dit-elle.

Pendant son stage postdoctoral à l’IQC, elle a dirigé une variante à triples fentes de la célèbre expérience des doubles fentes, afin de mettre à l’épreuve la règle de Born, l’un des axiomes fondamentaux de la mécanique quantique. Le résultat de ses travaux, qui a été souligné, constitue la validation empirique de cette règle la plus rigoureuse à ce jour.

Pendant qu’elle travaillait à l’IQC, son mari, Aninda Sinha, était postdoctorant à l’Institut Périmètre, où il travaillait sur des idées théoriques à propos de la manière dont la gravité pouvait avoir émergé dans le cosmos. Souvent, leurs conversations se situaient — et se situent encore — à la jonction de la théorie et de l’expérimentation.

Beaucoup de choses se sont passées depuis leurs stages postdoctoraux respectifs. Ils sont retournés en Inde, à Bangalore. Urbasi Sinha est devenue professeure à l’Institut de recherche Raman, où elle dirige maintenant le laboratoire d’information et de calcul quantiques. Son mari est devenu professeur au Centre de physique des hautes énergies à l’Institut indien des sciences.

Mme Sinha conçoit des expériences de calcul quantique et de traitement de l’information quantique photonique qui font intervenir des photons individuels et intriqués. Un des principaux objectifs de son équipe est de concevoir des solutions pour la réalisation d’un réseau Internet quantique mondial.

Mais son laboratoire effectue aussi des expériences pour étudier des caractéristiques fondamentales de la physique quantique et leurs fondements théoriques.

À titre d’exemple, le laboratoire de Mme Sinha a testé le caractère quantique de photons individuels, c’est-à-dire le degré auquel ces photons suivent les règles quantiques plutôt que classiques. On mesure cela par ce que l’on appelle les inégalités de Leggett-Garg. Le laboratoire de Mme Sinha a fourni le test le plus concluant à ce jour prouvant de manière non ambiguë le caractère quantique de photons individuels.

Le montage employé pour tester les inégalités de Leggett-Garg sur les photons individuels pourrait aussi servir dans d’autres expériences portant sur d’autres systèmes formés notamment d’objets dotés d’une masse plus grande. Il pourrait donc fournir une manière plus fiable de tester le macroréalisme, c’est-à-dire l’idée selon laquelle dans notre monde de tous les jours, les objets de grande taille n’ont pas les comportements étranges de la mécanique quantique.

Même si nous croyons intuitivement que l’idée de macroréalisme est fondée (par exemple, la Lune est au même endroit, peu importe qu’on la regarde ou non), il n’est pas facile de prouver cette idée scientifiquement. Le laboratoire de Mme Sinha fournit une structure qui aide à combler ces lacunes théoriques.

Mais cette structure peut également servir à mettre au point des applications pratiques dans lesquelles des photons individuels jouent un rôle majeur, par exemple pour les communications quantiques et le traitement de l’information quantique.

Tout en dirigeant son laboratoire en Inde, Mme Sinha conserve des liens étroits avec le Canada. Elle est professeure associée à l’IQC ainsi qu’au Centre d’information et de contrôle quantiques de l’Université de Toronto. Elle a des collaborateurs à l’Université de Calgary et à l’Institut Périmètre.

Un de ses collaborateurs à l’Institut Périmètre est Rafael Sorkin, associé de recherche et l’un des co-auteurs de l’article sur l’expérience des triples fentes utilisée pour mettre à l’épreuve la règle de Born. Dès 1994, M. Sorkin a proposé une expérience fondée sur la méthode de la « somme des histoires » en mécanique quantique. Cette expérience maintenant connue sous le nom de test de Sorkin, a été réalisée en laboratoire.

Plus tôt cette année, l’équipe de Mme Sinha a refait le test de Sorkin de la règle de Born, ainsi que le test de Peres, du nom du défunt scientifique israélien Asher Peres. Le test de Peres vérifie l’exactitude du principe de superposition, qui décrit comment les propriétés ondulatoires de particules telles que les électrons et les photons peuvent être superposées et représentées comme une somme de deux ou plusieurs états distincts.

Tout récemment, en 2022, Mme Sinha est revenue à Waterloo et à l’Institut Périmètre à titre de boursière Simons-Emmy-Noether.

Femme aux cehveux bruns portant un chemisier à rayure et écrivant sur un tableau noir
Urbasi Sinha, boursière Simons-Emmy-Noether à l’Institut Périmètre

« Ce programme de bourses est formidable, dit-elle. Il constitue pour moi une occasion unique d’interagir en tant qu’expérimentatrice avec des théoriciens de premier plan dans mon domaine et de réfléchir à des manières de donner une signification pratique à des idées théoriques souvent abstraites.

« Mon laboratoire en Inde a participé et participe encore à beaucoup de fructueuses collaborations semblables, y compris avec des professeurs de l’Institut Périmètre. Cette bourse est un moyen de donner une nouvelle impulsion en vue de la réalisation de telles applications pratiques révolutionnaires. »

Lors d’un récent colloque tenu à l’Institut Périmètre, Mme Sinha a parlé de ses travaux en science et technologie de la photonique quantique ainsi que de la réalisation d’un réseau Internet quantique mondial.

« L’idée consiste à utiliser les lois de la mécanique quantique pour assurer la sécurité des communications, dit-elle. Nous travaillons, en collaboration avec l’Organisation indienne de la recherche spatiale, à un projet d’expériences quantiques faisant appel à des satellites. »

Mme Sinha effectue aussi des expériences de calcul quantique, qui exploite une propriété de la mécanique quantique appelée superposition.

La superposition est la capacité de particules quantiques, par exemple les photons, à être simultanément dans plus d’un état (p. ex. spin vers le haut et spin vers le bas) et donc de représenter des qubits ayant en même temps les valeurs 0 et 1. En exploitant cette propriété, les ordinateurs quantiques peuvent effectuer certains calculs beaucoup plus rapidement que des ordinateurs ordinaires à base de bits électroniques.

Un défi majeur de l’informatique quantique consiste à trouver une manière d’augmenter le nombre de qubits contrôlables sans détruire leur propriété de superposition. Plus le nombre de qubits en interaction est grand, plus il est difficile de maintenir la cohérence de la superposition.

Les informaticiens quantiques utilisent souvent diverses solutions logicielles pour augmenter le nombre de qubits sans perte de cohérence, mais Mme Sinha expérimente une autre possibilité.

Son laboratoire travaille sur la création de systèmes ayant davantage de dimensions, par exemple des qutrits tridimensionnels, qui sont dans une superposition de 3 états au lieu de la superposition de 2 états des qubits. L’idée est que si l’on pouvait créer des particules ayant davantage d’états superposés que les qubits, un nombre moins grand de particules permettrait d’exécuter des tâches de calcul quantique.

Ses expériences dans ce domaine utilisent en outre une version de l’expérience des triples fentes avec laquelle elle avait mis à l’épreuve la règle de Born lorsqu’elle était postdoctorante à Waterloo il y a des années. Elle adapte cette expérience pour créer et utiliser des qutrits intriqués pour diverses applications. Elle a décrit ces travaux dans un article publié récemment par le magazine Scientific American.

Mme Sinha dit que chaque collaboration à la jonction de la physique théorique et de la physique expérimentale est un cercle vertueux dans lequel les deux se renforcent mutuellement. Elle collabore toujours avec son mari théoricien, Aninda Sinha. Ils supervisent même parfois ensemble des étudiants.

« Toutes les applications sur lesquelles nous travaillons en laboratoire dépendent d’aspects fondamentaux du sujet qui pourraient remplir une dizaine de chapitres d’un manuel de physique quantique », dit Mme Sinha, en soulignant l’importance de la bourse Simons-Emmy-Noether pour mettre sur pied davantage de collaborations avec des théoriciens, qui sont cruciales pour ses travaux. « Les applications et les fondements vont main dans la main.

« Mon laboratoire à l’Institut de recherche Raman s’est taillé un créneau dans l’équilibre entre la recherche fondamentale et les technologies appliquées. Le fait de discuter de nos travaux avec des théoriciens de l’Institut Périmètre va donner une nouvelle impulsion à nos recherches. J’envisage de faire un autre séjour au cours de la prochaine année dans le cadre de cette bourse. »

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