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DESI lance un programme de 5 ans pour mieux comprendre l’univers

Le consortium international DESI (Dark Energy Spectroscopic Instrument – Spectroscope de l’énergie sombre), qui vise à élucider le mystère de l’énergie sombre et à compléter notre carte 3D de l’univers, a officiellement commencé ses travaux le 17 mai.

Artist's conception of the baryon acoustic oscillation

Il y a un motif imprimé sur le tissu de l’espace-temps.

En 2 dimensions, chaque élément de ce motif ressemble à un petit cercle entouré d’un anneau — comme si une main cosmique avait jeté des cailloux dans l’étang dense de l’univers primitif, produisant des points d’impact et des ondulations, et que l’étang avait ensuite soudainement gelé.

Ce motif n’est pas facile à détecter. Les cercles et les anneaux sont subtils et se chevauchent de manière complexe. Mais, ce qui est crucial, ils sont tous de la même taille. La raison en est que le « gel de l’étang » — le changement d’état survenu lorsque l’univers primitif est passé d’un plasma de particules chargées à une soupe neutre contenant surtout de l’hydrogène — est survenu partout au même moment. La lumière appelée rayonnement fossile ou fonds diffus cosmologique a été émise à ce moment-là, et sans lumière pour le brouiller, le motif de cercle et d’anneau de masse s’est figé sur place.

Vue d'artisde des oscillations baryoniques acoustiques
Les oscillations baryoniques acoustiques forment un motif de répartition de masse à grande échelle. Il est légèrement plus probable de trouver des galaxies sur les cercles et les anneaux qu’ailleurs. Cette représentation d’artiste simplifie et exagère ce motif subtil. (Image : Gabriela Secara, Institut Périmètre)

Depuis lors, le motif de cercles et d’anneaux s’est agrandi, parce que l’espace-temps lui-même prend de l’expansion — tout comme un motif imprimé sur un ballon s’étend à mesure que l’on gonfle le ballon.

Ce motif porte le nom d’oscillations baryoniques acoustiques. Un nouveau projet vise à le cartographier, et du même coup à créer un nouvel outil puissant pour comprendre l’expansion de l’espace-temps et la mystérieuse énergie sombre qui en est le moteur.

Présentation de DESI

Ce nouveau projet, appelé DESI (Dark Energy Spectroscopic Instrument – Spectroscope de l’énergie sombre), résulte d’une collaboration internationale dirigée par le Laboratoire national Lawrence-Berkeley du Département américain de l’Énergie. Le projet d’une durée de 5 ans, qui vise à comprendre l’histoire et l’évolution de l’espace-temps, a été officiellement lancé le 17 mai à l’Observatoire national du pic Kitt, près de Tucson (Arizona), aux États-Unis.

« DESI est un nouvel instrument scientifique, monté sur un télescope rénové, qui mesure les distances entre la Terre et les galaxies », explique Dustin Lang, informaticien à l’Institut Périmètre et l’un des chercheurs qui ont réalisé les intenses travaux de développement de logiciels et de collecte de données nécessaires pour rendre possibles les observations de DESI. Il y a eu des relevés de galaxies dans le passé — plus récemment SDSS (Sloan Digital Sky Survey – Relevé numérique du ciel de la Fondation Sloan) —, mais DESI est 20 fois plus puissant que SDSS.

« Tous les éléments de la conception de DESI visent à effectuer rapidement un grand nombre de mesures, poursuit M. Lang. Nous produisons d’énormes quantités de données galactiques. » [traduction]

L’instrument enregistre la lumière captée par le télescope comme le fait un appareil photo numérique, mais avec 2 différences importantes. Premièrement, l’instrument ne s’intéresse qu’à quelques pixels du plan de l’image : ceux qui correspondent exactement à des galaxies et quasars lointains. Pour les isoler, de minuscules moteurs, commandés par un logiciel perfectionné, positionnent 5 000 câbles à fibre optique de telle sorte que chacun soit aligné sur une seule galaxie.

Deuxièmement, l’instrument ne se contente pas d’enregistrer la lumière. Il la décompose, comme le ferait un prisme avec un rayon de soleil, en un arc-en-ciel appelé spectre. « Lorsque les conditions sont favorables, nous pouvons obtenir 5 000 spectres toutes les 20 minutes, dit M. Lang. Les relevés précédents du ciel ont recueilli en tout quelque 4 millions de spectres. Nous pouvons en obtenir plus de 100 000 en une seule nuit. » [traduction]

Ajouter de la profondeur à une carte de milliards de galaxies

Le lancement officiel de DESI fait suite à un travail préparatoire d’une ampleur impressionnante : la plus grande carte du ciel jamais produite, combinant 1 400 nuits d’observation avec 3 télescopes et contenant 2 milliards d’étoiles et galaxies.

Appelée Legacy Sky Survey (Relevé patrimonial du ciel), la carte a été présentée à la réunion de janvier 2021 de la Société américaine d’astronomie, mais si vous avez manqué la réunion, vous pouvez parcourir la carte en ligne. Prévoyez un certain temps de téléchargement : cette énorme carte contient des milliers de milliards de pixels.

On pourrait légitimement se demander : Si cela était le travail préparatoire, que reste-t-il à accomplir pour le projet DESI? Réponse : Le Relevé patrimonial du ciel donne la position angulaire de milliards de galaxies — c’est-à-dire leur position en 2 dimensions dans le ciel. C’est cette carte qui permet aux chercheurs de pointer avec précision les 5 000 câbles à fibre optique. Mais lorsque DESI étudiera en détail un sous-ensemble de ces galaxies, il ajoutera littéralement une autre dimension à la carte : la profondeur. Il mesurera à quelle distance se trouve chaque galaxie.

Plus précisément, les chercheurs de DESI feront une mesure spectrale détaillée de chaque galaxie. Ces données leur permettront d’attribuer à chaque galaxie une valeur de décalage vers le rouge.

Le décalage vers le rouge est une sorte d’effet Doppler pour la lumière. Lorsqu’un objet se rapproche de nous, les ondes qu’il émet se concentrent, créant une lumière de plus haute fréquence, donc plus bleue. Lorsqu’un objet s’éloigne de nous, les ondes qu’il émet s’étirent, créant un décalage vers le rouge. Depuis les années 1920, nous savons que plus une galaxie est lointaine, plus vite elle s’éloigne de nous. La lumière des galaxies lointaines est fortement décalée vers le rouge, celle des galaxies plus proches l’est moins.

On sait très bien aussi que les galaxies lointaines sont éloignées de nous non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps. Par exemple, si la lumière d’une galaxie met 5 milliards d’années pour parvenir jusqu’à la Terre, ce que nous voyons est la galaxie telle qu’elle était il y a 5 milliards d’années. En étudiant les galaxies fortement décalées vers le rouge, nous étudions l’univers primitif.

Autrement dit, DESI est une machine à remonter dans le temps.

Découper le ciel en couches à l’aide de spectres

DESI recueillera des données pendant 5 ans. « Nous visons l’observation de quelque 30 millions de galaxies », déclare Will Percival, professeur associé à l’Institut Périmètre, ainsi que titulaire d’une chaire de chercheur éminent en astrophysique et directeur du Centre d’astrophysique de l’Université de Waterloo.

Ces 30 millions ne représentent qu’un sous-ensemble du milliard de galaxies du Relevé patrimonial du ciel, mais ce sera 10 fois plus que le Relevé numérique du ciel de la Fondation Sloan, qui a recueilli environ 3 millions de spectres de galaxie en plus de 10 années d’observations.

Le projet vise aussi environ 2,5 millions de quasars, objets brillants situés au centre de certaines galaxies. Ceux-ci tirent leur énergie de gaz qui se dirigent en spirale à grande vitesse vers des trous noirs gigantesques. Les quasars sont si brillants qu’ils éclipsent toutes les étoiles de leur galaxie. Dans le contexte de ce projet, ils sont importants parce que ce sont les objets les plus éloignés dont DESI peut obtenir des images. L’étude des quasars permettra à DESI de prendre un instantané de l’univers tel qu’il était il y a 11 milliards d’années.

L’ensemble des données sur les galaxies et les quasars, avec le décalage vers le rouge correspondant à chaque objet, permettra aux chercheurs de découper le ciel en couches, chacune représentant un moment différent de l’histoire de l’univers.

Vue d'artisde des oscillations baryoniques acoustiques
Les oscillations baryoniques acoustiques ont une taille caractéristique, qui change uniquement à cause de l’expansion de l’espace-temps lui-même. En étudiant ce motif à différents moments de l’histoire de l’univers, les chercheurs cartographient l’expansion de l’espace-temps. Cette expansion s’accélère sous l’action de la force mystérieuse appelée énergie sombre. (Image : Gabriela Secara, Institut Périmètre)

De retour aux cercles et aux anneaux

Une fois que DESI aura découpé le ciel en couches temporelles, il pourra entreprendre de chercher le motif de cercles et d’anneaux des oscillations baryoniques acoustiques.

C’est à ce moment-là que Will Percival et son équipe commenceront à extraire le signal cosmologique de la formation d’amas galactiques. Ce signal sera subtil — à partir d’une galaxie, la probabilité de trouver une autre galaxie dans l’anneau correspondant est de moins de 1 % supérieure à celle d’en trouver une un peu plus ou un peu moins loin —, de sorte qu’il faudra beaucoup de données. Mais la bonne nouvelle, selon M. Percival, c’est que la technique employée est robuste : « Elle est insensible aux erreurs systématiques, de sorte qu’il est très difficile de manquer son coup dans cette expérience. » [traduction]

Les scientifiques chercheront le motif de cercles et d’anneaux en divers points de l’évolution de l’univers, de 11 milliards d’années dans le passé jusqu’à tout récemment. Ils prédisent qu’ils verront ce motif s’étendre à mesure que l’espace-temps lui-même prend de l’expansion, encore une fois comme un motif imprimé sur un ballon que l’on gonfle.

Leur objectif ultime est d’étudier l’histoire de cette expansion. Nous savons que l’explosion du Big Bang cause l’expansion de l’espace-temps. Nous savons d’autre part que l’espace-temps a tendance à se contracter sous l’effet de sa propre gravité. S’il n’y avait que ces 2 facteurs, on s’attendrait à ce que l’univers s’étende à un rythme relativement constant, ou que son expansion ralentisse graduellement. Mais en 1998, les scientifiques ont découvert qu’en réalité l’expansion de l’espace-temps s’accélère. Une chose supplémentaire, que les scientifiques ont appelée énergie sombre, est à l’origine de l’expansion de l’espace-temps lui-même.

« Cette question de l’énergie sombre est l’une des plus passionnantes en physique à l’heure actuelle, dit M. Percival. C’est comme quand on voyait les effets de l’électricité — les étincelles et les chocs électriques — sans connaître les lois physiques qui les expliquent. Sans ces lois physiques, on dirait de la magie. » [traduction]

Les scientifiques de DESI vont étudier comment le motif de cercles et d’anneaux prend de l’expansion avec le temps. C’est une nouvelle fenêtre ouverte sur l’histoire de l’énergie sombre.

Les possibilités de découverte ne s’arrêtent pas là. Il vaut peut-être la peine de se rappeler que l’existence de l’énergie sombre elle-même a été découverte à l’occasion d’un relevé de galaxies lointaines. Personne ne la recherchait; elle a émergé des données comme une surprise totale.

« Chaque fois que l’on entreprend une expérience avec des moyens de 10 à 20 fois plus puissants que ceux dont on disposait auparavant, dit M. Percival, on ouvre tout grand la porte à de nouvelles découvertes. On pourrait trouver quelque chose d’inconnu, quelque chose qui ne suit pas notre modèle cosmologique, un nouveau type d’objet, une nouvelle propriété, quelque chose que nous n’avons pas vu auparavant.

« Nous sommes des scientifiques : c’est l’inconnu qui nous passionne. » [traduction]

Le consortium DESI est honoré d’avoir la permission de mener des recherches scientifiques au sommet de Iolkam Du’ag (le pic Kitt), montagne qui revêt une importance particulière pour la Nation Tohono O’odham.

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