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La particule X et le cas du lithium manquant

Il manque environ les deux tiers du lithium qui aurait dû être présent dans l’univers primitif. Maxim Pospelov, chercheur à l’Institut Périmètre, croit qu’une nouvelle particule hypothétique — la particule X — pourrait avoir empêché ce lithium de se former.

Il n’y a rien de tel qu’une bonne anomalie. En sciences, les anomalies — les cas où la théorie et les observations se contredisent — sont des moteurs du progrès.

Isaac Asimov l’a exprimé un jour en ces termes : « En sciences, l’expression la plus excitante que l’on puisse entendre, celle qui annonce le plus de découvertes, ce n’est pas ‘Eureka’, mais plutôt ‘C’est curieux…’. » [traduction].

Malheureusement, la cosmologie souffre d’un manque d’anomalies. Lorsqu’elle fait des prédictions, la cosmologie standard a tendance à viser juste. Mais il y a une exception : il n’y a pas assez de lithium 7 dans l’univers primitif.

Photo de Maxim Pospelov
Maxim Pospelov

Maxim Pospelov, professeur associé à l’Institut Périmètre, tente depuis plus de 10 ans de comprendre ce qui est arrivé à ce lithium. Lui et ses collègues ont maintenant une nouvelle idée : ils font intervenir une particule inconnue qu’ils ont baptisée « particule X ».

« Pour moi, le problème du lithium est tout à fait fascinant, déclare M. Pospelov. C’est un problème difficile qui se pose depuis de nombreuses années. C’est l’une des meilleures failles par lesquelles on puisse entrevoir de nouvelles idées. » [traduction].

Quel est exactement ce problème? À l’aide d’un modèle dit de nucléosynthèse primordiale, on peut calculer les quantités relatives d’éléments légers qui ont été produits dans l’univers primitif. On peut également observer quelle quantité de chaque élément était présente dans les premières étoiles. La théorie et les observations concordent en grande partie. Le modèle prédit trois parties d’hydrogène pour chaque partie d’hélium, un soupçon de deutérium (environ 0,01 %) et des quantités encore plus petites des deux isotopes naturels du lithium, le lithium 6 et le lithium 7.

Les observations concordent avec ces quantités et confirment avec précision les prédictions du modèle. Mais il y a une exception : le lithium 7. Il manque environ les deux tiers du lithium 7 prédit par le modèle de nucléosynthèse primordiale.

Le modèle de nucléosynthèse primordiale est-il tout simplement erroné? Ce serait surprenant, parce que ses autres prédictions sont très justes. Le lithium pourrait-il être présent, mais caché d’une manière ou d’une autre? Tous les efforts pour le trouver ont été infructueux. Quelque chose pourrait-il être arrivé au lithium 7? C’est dans cette voie que Maxim Pospelov a orienté ses efforts.

Les recherches de M. Pospelov se situent souvent à la jonction de la physique des particules et de la cosmologie. Travaillant avec Josef Pradler, ancien postdoctorant à l’Institut Périmètre et collaborateur de longue date, et Andreas Goudelis, de l’Institut autrichien de physique des hautes énergies, Maxim Pospelov a entrepris de voir si la physique des particules pourrait apporter une solution au problème du lithium 7.

Comme elle le décrit dans l’article intitulé « A light particle solution to the cosmic lithium problem », publié dans Physical Review Letters, l’équipe a fait l’ingénierie inverse d’une particule hypothétique, qu’elle a appelée « particule X », capable de détruire le lithium sans affecter l’abondance relative de l’hydrogène, de l’hélium et du deutérium.

« Je dois dire que c’est de la spéculation », dit M. Pospelov, dont la langue maternelle est le russe. « En russe, le mot spéculation a seulement une connotation péjorative, et les spéculateurs vont en prison. Mais en anglais ou en français, spéculation a aussi le sens de ‘recherche abstraite’ ou de ‘considération théorique’, ce qui peut être une bonne idée en physique. Il peut parfois en ressortir quelque chose d’intéressant. » [traduction]

Dans le cas qui nous occupe, il en est effectivement ressorti quelque chose d’intéressant : une particule hypothétique qui pourrait résoudre l’anomalie du lithium.

Même si toute nouvelle particule se situe nécessairement en dehors du modèle standard de la physique connue, certaines nouvelles particules semblent raisonnables alors que d’autres sont tout à fait fantaisistes. La particule X semble raisonnable, au point où la prochaine étape de la recherche consiste à planifier des expériences pour en vérifier l’existence.

Pour faire l’ingénierie inverse de la particule X, les chercheurs ont d’abord fait l’hypothèse d’une longue durée de vie, de l’ordre de 1 000 secondes. Cette durée est suffisante pour que la particule ait pu être créée lors du Big Bang et ait survécu à la violence et à la chaleur des 3 premières minutes de l’univers, pour atteindre la période de calme relatif au cours de laquelle les éléments légers ont été formés. « Un millier de secondes est une durée étalon — la période au cours de laquelle se produisent les réactions les plus critiques pour le lithium —, explique M. Pospelov. S’il y avait une arrivée de neutrons pendant cette période précise, cela empêcherait la production de lithium. » [traduction]

Dans le passé, de nombreuses tentatives pour résoudre le problème de l’abondance du lithium à partir d’idées de la physique des particules ont fait intervenir une particule lourde hypothétique dont la décomposition produit des neutrons. Si l’on ajoute des neutrons au mélange à l’étape des 1 000 secondes, cela supprime la formation de lithium.

Mais ces neutrons auraient aussi pour effet d’augmenter l’abondance du deutérium — ce qui n’est pas souhaitable. On ne peut pas prédire une abondance plus grande du deutérium dans l’univers primitif, car on a récemment réussi à mesurer l’abondance réelle du deutérium au commencement de l’univers.

« Au cours des dernières années, ces mesures sont devenues précises à quelques points de pourcentage près, et elles tombent pile sur les prédictions du modèle de nucléosynthèse primordiale, poursuit M. Pospelov. L’idée de nouvelles particules produisant des neutrons ne fonctionne donc pas. Lorsque nous avons appris à mesurer l’abondance du deutérium, des centaines de modèles sont instantanément devenus caducs.

« Pour contourner le problème, au lieu d’introduire de nouveaux neutrons, nous avons eu l’idée de libérer des neutrons existants pendant seulement une courte période. » [traduction]

L’hypothèse suivante de l’équipe a porté sur la masse de la particule X : environ 10 MeV, soit environ 20 fois plus que la masse de l’électron et 100 fois moins que celle du proton.

Contrairement aux particules hypothétiques précédentes, la particule X est trop légère pour se décomposer en neutrons. L’équipe conçoit plutôt qu’elle produit des neutrons en décomposant le deutérium, dont le noyau comporte un proton et un neutron. « La particule frappe le noyau de deutérium et libère le neutron » [traduction], dit M. Pospelov.

Les neutrons ainsi libérés entreraient dans la soupe de la nucléosynthèse primordiale, contrant la formation de lithium. Mais ces neutrons reviendraient rapidement reformer du deutérium. Lors du refroidissement de la soupe, l’abondance relative du deutérium demeurerait inchangée. Ce processus, que les chercheurs appellent recyclage des neutrons, semble résoudre le problème de l’abondance du lithium sans introduire d’autres changements dans le modèle par ailleurs fructueux de la nucléosynthèse primordiale.

En ce qui concerne le lithium, ce serait merveilleux que la particule X existe, mais cela n’est pour le moment que spéculation (dans le bon sens du terme). La prochaine étape pour l’équipe consistera à rechercher des preuves indépendantes de l’existence de cette particule, en commençant par des expériences terrestres de physique des particules.

La bonne nouvelle, c’est que la théorie de l’équipe est suffisamment développée et raffinée pour prédire des signatures expérimentales. Et à seulement 10 MeV, la particule X se situerait dans des niveaux d’énergie que l’on peut étudier à l’aide des accélérateurs actuels. Par contre, ses interactions sont uniquement à « couplage faible », ce qui la rend difficile à détecter.

« Ce n’est pas comme un proton ou un électron, ni même un pion ou un kaon, dit M. Pospelov. Les couplages que nous avons introduits sont suffisants pour avoir un effet sur la nucléosynthèse primordiale, mais ils ne sont pas très forts. » [traduction]

Selon Maxim Pospelov, les premières expériences pourraient consister en des décharges de faisceau. Dans ces expériences, un faisceau de particules énergétiques est projeté sur un blindage. Seules les particules ayant une durée de vie relativement longue peuvent ressortir de l’autre côté. La durée de vie de 1 000 secondes de la particule X peut sembler courte à l’échelle de l’univers, mais en physique corpusculaire, où la plupart des particules exotiques ne durent qu’un instant, 1 000 secondes représentent une durée suffisante pour que la particule X puisse être qualifiée de stable ou de métastable.

« Nous chercherions à observer une particule du faisceau ressortant de l’autre côté du blindage. Elle interagirait ou se décomposerait dans le détecteur. » [traduction]

D’autre part, comme la particule interagit faiblement, on pourrait rechercher des expériences spécialisées dans les particules à interaction faible, comme celles que l’on mène sous terre à grande profondeur pour détecter de la matière sombre ou des neutrinos. « Tout ce qu’il me faudrait, c’est que quelqu’un me laisse mettre un petit accélérateur à côté d’un gros détecteur de neutrinos, explique M. Pospelov en riant. C’est un peu comme d’installer un kiosque à musique à côté d’un hôpital. Il faudra faire preuve de beaucoup de persuasion. Cela fait partie des petits défis à relever. » [traduction]

Autre tâche à accomplir : élaborer un modèle complet de théorie des champs incluant la particule X sans chambouler le modèle standard.

« Les spéculations, c’est bien joli, conclut Maxim Pospelov. Mais ce qu’il nous faut, c’est une découverte ou une exclusion définitive. » [traduction]

Et peut-être aussi, à un moment donné, un nom pour la mystérieuse particule X.

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