L’intelligence artificielle apprend toute seule à résoudre des problèmes quantiques complexes
De nouvelles recherches montrent comment des systèmes quantiques et classiques peuvent évoluer ensemble au lieu de mener une guerre d’obsolescence.
De nouvelles recherches montrent comment des systèmes quantiques et classiques peuvent évoluer ensemble au lieu de mener une guerre d’obsolescence.
Dans la culture populaire, l’informatique quantique est souvent décrite comme une technologie ultrapuissante qui dépassera, puis remplacera, son pendant classique. Mais en réalité les deux sont inextricablement liés.
Nous utilisons l’informatique et des simulations classiques pour concevoir et mettre au point les appareils quantiques créés aujourd’hui, et ceux-ci sont intégrés dans un cadre beaucoup plus large d’ordinateurs classiques.
Les efforts consentis pour faire progresser ces technologies différentes — qui sont interdépendantes et s’alimentent l’une l’autre — font penser à une danse. Les deux partenaires doivent être mobiles. L’informatique classique doit être à son meilleur pour faire progresser les dispositifs quantiques, et chaque étape du développement de l’informatique quantique exige davantage de son partenaire classique.
Ce pas de deux a récemment franchi une nouvelle étape avec la parution dans Nature Physics d’un article écrit par des chercheurs de l’Institut Périmètre et de l’Université de Waterloo, avec des collaborateurs de l’École polytechnique fédérale de Zurich, de la Station Q de Microsoft, de D-Wave Systems et de l’Institut Vecteur d’intelligence artificielle.
Cette équipe a appliqué l’intelligence artificielle (IA) à un problème particulier d’informatique quantique : elle a calculé les états d’un dispositif quantique uniquement à partir d’instantanés de données obtenus par des mesures expérimentales.
Il s’agit d’un défi complexe. L’état d’un système quantique contient toute l’information à propos de ce système. Cependant, on ne peut extraire qu’une certaine quantité d’information à un moment donné. (« Cela est dû en partie au principe d’incertitude, mais surtout à la nature de la mécanique quantique elle-même » [traduction], explique Barak Shoshany, doctorant à l’Institut Périmètre, dans une réponse citée dans le site Web Quora.)
Alors pourquoi l’effort en vaut-il la peine? Parce que la capacité de connaître un état quantique, pour pouvoir l’exploiter, est cruciale en informatique quantique. Tant que nous n’avons pas cette capacité, nos possibilités d’adapter les petits dispositifs quantiques que nous possédons ou de fabriquer des ordinateurs quantiques plus robustes demeurent limitées.
À l’heure actuelle, nous reconstruisons l’état de dispositifs quantiques par un processus dit de tomographie quantique. À partir d’instantanés imparfaits du système, cela consiste à remonter mathématiquement jusqu’au point où l’on peut confirmer quel était l’état quantique complet au moment où les mesures ont été prises. Cette démarche de « rétro-ingénierie » fait appel à des algorithmes complexes qui exigent la saisie et la manipulation d’une quantité considérable de données. C’est un gros défi, en raison du nombre énorme d’instantanés incomplets nécessaires pour effectuer la reconstruction.
Dans le nouvel article, intitulé Neural-network quantum state tomography (Tomographie quantique à l’aide d’un réseau neuronal), Giacomo Torlai, étudiant diplômé associé à l’Institut Périmètre, Roger Melko, et leurs collaborateurs décrivent le même processus, mais en utilisant un réseau neuronal d’IA de pointe pour faire le gros du travail.
Les chercheurs ont utilisé l’apprentissage automatique non supervisé — essentiellement un dispositif d’IA capable d’apprendre tout seul. Le module d’IA a appris comment combiner les mesures effectuées sur le matériel quantique pour produire une description complète de son état quantique.
« Notre algorithme n’a besoin que des données brutes obtenues à l’aide de mesures simples accessibles de manière expérimentale, explique M. Torlai. L’idée consiste à construire un outil général et fiable qui aidera à mettre au point la prochaine génération de simulateurs quantiques et de dispositifs quantiques de taille intermédiaire et comportant du bruit. » [traduction]
Dans l’industrie, les réseaux neuronaux servent souvent à exploiter des masses de données. M. Torlai et ses collaborateurs ont inversé cette dynamique : ils ont utilisé un réseau neuronal standard de l’industrie, appelé machine de Boltzmann restreinte, et l’ont appliqué à des recherches théoriques.
Ces travaux font partie d’un programme plus vaste d’« apprentissage automatique quantique », où des théoriciens et des expérimentateurs utilisent l’apprentissage automatique pour concevoir et analyser des systèmes quantiques.
Giacomo Torlai, candidat au doctorat venu à Waterloo spécifiquement pour travailler avec Roger Melko, a d’abord utilisé l’apprentissage automatique pour étudier la correction d’erreurs quantiques dans des systèmes quantiques topologiques.
Dans ce dernier projet de recherche, il a conçu les méthodes d’apprentissage automatique pour effectuer une tomographie quantique à l’aide d’un réseau neuronal. L’équipe a ensuite fait des tests sur des jeux de données artificiels contrôlés, produits à partir de divers états quantiques.
Les chercheurs ont commencé par un système standard (mais néanmoins complexe), dans lequel des spins quantiques en interaction sont disposés sur un treillis. Ce modèle est utilisé dans des simulateurs quantiques qui reposent sur des ions et atomes ultrafroids, et la tomographie de tels systèmes est très difficile avec les méthodes traditionnelles. Le module d’apprentissage automatique a fonctionné.
L’équipe s’est ensuite attaquée à des défis de plus en plus difficiles, pour finalement en arriver à l’une des choses les plus complexes à calculer : l’entropie d’intrication.
L’entropie d’intrication correspond à l’information perdue lorsque l’on isole une région pour en étudier les propriétés. En isolant une partie d’un système pour l’étudier, on laisse inévitablement de côté certains partenaires intriqués. Cela constitue par conséquent une perte d’information, ce qui correspond à l’entropie.
L’entropie d’intrication fournit une information importante sur des systèmes quantiques à N corps et en interaction, et elle est d’un grand intérêt en physique de la matière condensée et en théorie de l’information quantique. Mais il est diaboliquement difficile d’évaluer l’entropie d’intrication dans des expériences.
L’équipe de chercheurs a constaté que le réseau neuronal était capable de donner une estimation de l’entropie d’intrication à partir de simples mesures de densité accessibles à l’aide des possibilités expérimentales actuelles. Les auteurs écrivent : « Cette méthode peut être utile avec des appareils actuels et futurs allant des ordinateurs quantiques aux simulateurs quantiques d’atomes ultrafroids. » [traduction]
Contrairement à la majorité des méthodes conçues pour comprendre des appareils quantiques — qui sont adaptées spécifiquement à chaque cas de figure —, le module d’IA mis au point par l’équipe est indépendant de l’environnement matériel. Les auteurs disent que le réseau neuronal est suffisamment général pour s’appliquer à une variété de dispositifs quantiques, y compris des circuits quantiques à haut degré d’intrication, des simulateurs quantiques adiabatiques, ainsi que des expériences portant sur des atomes ultrafroids et des pièges à ions à plusieurs dimensions.
« Notre méthode permet de valider directement des ordinateurs et simulateurs quantiques, écrivent-ils, et de reconstruire indirectement des quantités difficiles à observer directement dans des conditions expérimentales. » [traduction]
Roger Melko et ses collègues ont déjà mis leur méthode à l’épreuve. Dans un article plus récent paru en janvier en prépublication dans arXiv, ils rapportent que le module d’IA a été appliqué à des données réelles. « L’article original ne portait que sur des états quantiques purs, déclare M. Melko. Nous avons dû tenir compte du fait que les expériences peuvent comporter un peu plus de bruit. Elles peuvent être moins nettes et moins bien contrôlées. Et cela a fonctionné à merveille. » [traduction]
Il s’agit d’une étape supplémentaire dans ce qui devrait être d’après lui une longue et fructueuse série d’allers-retours entre l’informatique classique et l’informatique quantique.
« Dans l’avenir, lorsque nous augmenterons la taille de ces dispositifs quantiques, c’est l’IA qui surveillera les systèmes quantiques, ajoute-t-il. Les algorithmes les plus adaptatifs et les plus efficaces nourriront les ordinateurs quantiques. L’IA permettra de les concevoir, de les construire, puis de les faire fonctionner. » [traduction]
La clé de tout cela — la musique sur laquelle on danse — réside dans les données. Avec les bons modules d’IA et suffisamment de données, ces travaux montrent qu’un réseau neuronal général peut apprendre, sonder et analyser un système quantique, quelle que soit la théorie sous-jacente.
Et selon M. Torlai, c’est une bonne chose, car les données constituent une ressource illimitée.
« Nous en sommes maintenant à un point crucial, ajoute-t-il, puisque nous pouvons produire de grandes quantités de données avec les appareils quantiques qui fonctionnent maintenant. Les données seront toujours dignes de confiance. » [traduction]
Une bourse Simons-Emmy-Noether a donné à la physicienne expérimentatrice Urbasi Sinha l’occasion de collaborer avec des théoriciens à l’Institut Périmètre. Les citations de cet article sont traduites de propos qu’elle a tenus en anglais.
À l’Institut Périmètre, un étudiant diplômé aide à accélérer la résolution de problèmes concrets à l’aide de l’informatique quantique. Les citations de cet article sont traduites de propos tenus en anglais par Madelyn Cain, Xiu-Zhe Luo et Roger Melko.
En physique quantique, le mot magique a un sens technique précis. Timothy Hsieh, de l’Institut Périmètre, et ses collaborateurs ont trouvé une source abondante de matériaux magiques. Les citations de cet article sont traduites d’une entrevue accordée en anglais par Timothy Hsieh.