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MERA et l’holographie — ou peut-être autre chose

Depuis une décennie, les physiciens posent une question captivante : est-ce qu’un outil mathématique issu de la physique de la matière condensée pourrait constituer la clé improbable d’une meilleure compréhension de l’holographie? La réponse est maintenant à portée de la main — et différente de ce que tout le monde attendait.

Ash Milsted and Guifre Vidal

Appelons ça un coup de théâtre.

Depuis 2009, des experts discutent pour savoir si un réseau de tenseurs appelé MERA pourrait constituer la clé d’une meilleure compréhension du principe holographique — le profond mystère qui propose des liens entre la théorie des champs et la gravitation quantique.

La question peut être formulée ainsi : si MERA constitue une clé, comment fonctionne-t-elle? Ou, en langage plus technique, quelle est la relation exacte entre MERA et l’holographie? Deux camps ont élaboré chacun une théorie sur cette relation — disons l’option A et l’option B. Et 2 chercheurs de l’Institut Périmètre viennent de fournir une réponse définitive.

C’est l’option C.

Présentation de MERA

Le professeur Guifre Vidal et le postdoctorant Ash Milsted sont des experts de MERA. Ash Milsted est le premier postdoctorant à avoir été embauché dans le cadre de l’Initiative sur les réseaux de tenseurs, programme de recherches de 5 ans de l’Institut Périmètre sur le sujet. Bientôt arrivé au terme de son stage postdoctoral — et à la veille de commencer un second postdoctorat à Caltech —, il a travaillé au développement de MERA et d’autres formalismes de réseaux de tenseurs, ainsi qu’à leur application à un grand nombre de domaines de recherche, notamment la physique des hautes énergiess.

Guifre Vidal et Ashley Milsted
Le postdoctorant Ash Milsted (à gauche) et le professeur Guifre Vidal discutent à l’Institut Périmètre de problèmes concernant les réseaux de tenseurs.

Guifre Vidal est le chercheur à l’origine de MERA, acronyme de multi-scale entanglement renormalizarion ansatz (ansatz de renormalisation pour intrication multi-échelle). MERA est une structure mathématique qui applique les outils du groupe de renormalisation à des systèmes quantiques intriqués.

Voyons cela plus en détail. Le groupe de renormalisation est un ensemble d’outils qui permet de passer de la physique des hautes énergies à la physique des basses énergies. « C’est l’une des idées les plus importantes du XXe siècle, déclare M. Vidal. Elle établit un lien entre 2 échelles de grandeurs. » [traduction]

D’autre part, l’intrication est un type proprement quantique de corrélation, dans lequel 2 ou plusieurs particules sont liées de telle sorte que l’état quantique de chacune ne peut être décrit indépendamment de l’état quantique des autres particules.

L’intrication ne se fait pas seulement sur des paires de particules quantiques. Elle peut porter sur des systèmes de particules, et certains de ces systèmes sont considérables. Il est impossible de comprendre ces systèmes un morceau à la fois. C’est comme d’essayer de comprendre une image à partir de chaque pixel, ou de comprendre une phrase à partir de chaque lettre. Comme dans le cas d’une phrase, à l’intérieur des systèmes fortement intriqués, l’intérêt réside dans les relations entre les constituants.

Depuis que Guifre Vidal l’a créé en 2005, MERA est devenu l’outil de choix pour comprendre non seulement la matière quantique fortement intriquée, mais aussi divers autres systèmes complexes. On l’utilise entre autres en apprentissage automatique, pour la description d’états exotiques de la matière ainsi qu’en théorie des champs.

La puissance de cet outil vient d’une idée-clé que Guifre Vidal a eue lorsqu’il l’a mis au point : il a ajouté une dimension supplémentaire à un cadre existant et a utilisé le résultat pour coder l’intrication à différentes échelles de longueur. Ce fut l’origine de MERA, ou le M signifie « multi-échelle ».

MERA et l’holographie

Les articles fondamentaux de Guifre Vidal sur MERA ont été publiés en 2007 et en 2008. En 2009, un autre physicien, Brian Swingle, a remarqué un parallèle entre la manière dont MERA simplifie des problèmes complexes en ajoutant une dimension et la manière dont la théorie des cordes fait la même chose à l’aide de son principe holographique.

En vertu du principe holographique, certains types de théories des champs sont exactement équivalentes à certains types de théories de la gravitation dans une dimension supplémentaire. Aussi appelée correspondance AdS/CFT, l’holographie joue un rôle central dans l’étude de la théorie des cordes de même que dans certaines branches de la théorie des champs et de la gravitation, et elle a des applications surprenantes au-delà de ces domaines. Plus M. Swingle examinait la question, plus les parallèles entre MERA et l’holographie semblaient profonds.

Plusieurs chercheurs se sont mis à développer l’idée initiale de Brian Swingle. Ils espéraient que MERA s’avère être le formalisme permettant de découper la mathématique complexe de l’holographie en morceaux plus simples où les calculs peuvent être effectués. En langage du domaine, on espérait prouver que MERA est une concrétisation en treillis de la correspondance AdS/CFT.

Treillis = progrès

Comme exemple de concrétisation d’un concept abstrait dans la vie courante, M. Vidal suggère le concept de bonheur représenté par un petit enfant qui joue.

Une concrétisation en treillis en est une que l’on peut considérer morceau par morceau, au lieu de devoir l’aborder comme un tout. Trouver une concrétisation en treillis de l’holographie constituerait un immense progrès. Ash Milsted explique : « Nous aurions un cadre de calcul pour répondre à des questions. Parfois, ce n’est pas suffisant d’avoir seulement des idées. Il faut aussi pouvoir calculer des choses. Si l’on peut transformer les idées abstraites de la correspondance AdS/CFT en une simulation dans un treillis, on peut alors faire des calculs à partir de véritables quantités. Cela oblige à être vraiment concret, à préciser exactement ce que l’on veut dire. » [traduction]

« Une fois que la correspondance AdS/CFT est décomposée en morceaux, on peut examiner ces morceaux et poser des questions, dit M. Vidal. La correspondance AdS/CFT peut être très abstraite. Comme il est impossible de réaliser des expériences — les énergies en cause sont trop grandes pour que ce soit faisable —, il est facile de se perdre en conjectures. C’est très utile de pouvoir décomposer le tableau d’ensemble en pièces plus petites, afin d’en comprendre la signification. » [traduction]

Option A – Option B – Aucune de ces options

Avec une motivation aussi forte et l’idée d’un possible lien, la question à résoudre semblait être de trouver le sens précis de MERA dans un contexte holographique. MERA représente-t-il une théorie de la gravitation dans un espace hyperbolique, comme le proposait Brian Swingle, ou une théorie des champs dans un espace-temps de Sitter, comme le proposait Cedric Beny? Est-ce l’option A ou l’option B?

Maintenant, au bout de 10 ans de débats, MM. Vidal et Milsted ont enfin une réponse définitive. MERA ne correspond ni à un espace hyperbolique, ni à un espace-temps de Sitter, mais à une géométrie de cône de lumière. La réponse est l’option C.

Géométries candidates pour MERA
Trois géométries candidates pour MERA – espace hyperbolique (en bleu), cône de lumière (en vert), espace-temps de Sitter (en rouge)

En prime — ou comme prix de consolation —, MM. Milsted et Vidal ont élaboré 2 variantes de MERA, une pour l’option A et une pour l’option B. « Ainsi, on peut contenter tout le monde » [traduction], dit M. Vidal.

On pourrait naïvement s’attendre à ce que cette percée fasse rapidement progresser l’holographie. « Oui, je m’attendrais aussi à cela, dit M. Vidal. Mais ce pourrait ne pas être aussi simple. » [traduction]

Même si ces travaux récents établissent enfin comment interpréter MERA de manière géométrique du point de vue d’une théorie conforme des champs (CFT), les chercheurs ne sont pas encore certains des liens entre cette nouvelle interprétation et la géométrie de la correspondance AdS/CFT. On dirait que la relation n’est pas aussi immédiate qu’on le croyait auparavant.

« Une des implications de nos travaux est que ces réseaux de tenseurs ne sont pas nécessairement liés à la correspondance AdS/CFT, dit Ash Milsted. Nous n’affirmons pas qu’il n’y ait pas de lien, nous nous demandons quel est ce lien. » [traduction]

« Ce que nos résultats montrent, c’est la relation exacte entre MERA et la composante CFT de l’histoire, ajoute Guifre Vidal. Il reste aux experts de la correspondance AdS/CFT à trouver la composante gravitationnelle. » [traduction]

À l’évidence, la saga de MERA et de l’holographie n’est pas terminée.

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