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Comprendre le mystérieux « ET » de l’émergence

L’Institut Périmètre souhaite la bienvenue au physicien de la matière condensée Max Metlitski, plus récente recrue au sein de son corps professoral.

En physique comme dans la vie, le tout est souvent davantage que la somme de ses parties. C’est ce qui fascine le chercheur Max Metlitski à propos de la matière condensée.

Tout comme une symphonie est davantage que les notes jouées par chacun des instruments, il en va de même avec les électrons.

« Le comportement collectif des électrons peut être très différent des propriétés que chaque électron possède par lui-même » [traduction], affirme M. Metlitski. Ce principe de différence du comportement collectif s’appelle l’émergence. L’émergence est omniprésente, même dans un composé aussi simple que l’eau : ce n’est que lorsque l’on rassemble des milliers de milliards de ses minuscules molécules en forme de V que l’on obtient des phénomènes tels que l’état liquide et la tension superficielle, et des objets comme une goutte de rosée.

Encore aujourd’hui, on comprend mal comment cela se produit, même dans le cas des gouttes de rosée. Comme le disait Arthur Eddington, physicien britannique du début du XXe siècle : « Nous pensions que de connaître ‘un’ suffit pour connaître ‘deux’ puisqu’un ET un font deux. Nous nous rendons compte que nous avons beaucoup à apprendre à propos du ‘ET’. » [traduction]

C’est sur ce mystérieux « ET » — le comportement émergent d’un système — que Max Metlitski cherche à jeter un certain éclairage : « J’ai été fasciné par cette idée d’émergence, selon laquelle des systèmes décrits par des lois physiques simples peuvent avoir un comportement émergent très complexe. » [traduction]

Et cela va bien au-delà des gouttes de rosée. La matière condensée comprend des systèmes qui font des choses comme résister à des champs magnétiques ou conduire l’électricité sans résistance. « C’est un domaine difficile où de nombreuses questions restent sans réponse » [traduction], affirme M. Metlitski.

Les parents de Max Metlitski ont immigré de la Russie au Canada et se sont établis à Vancouver lorsqu’il était adolescent. Il était et est encore fasciné par la littérature, en particulier la poésie russe, mais à l’école secondaire il a été choisi pour participer à une activité qui comprenait une semaine intensive d’exposés de physique. Il a adoré cela, et cette expérience l’a orienté vers sa future carrière.

Malgré cela, la trajectoire qui l’a mené jusqu’au sous-domaine de la matière condensée n’a pas été rectiligne. À l’université, Max Metlitski a d’abord étudié la physique des hautes énergies et s’est intéressé à ce qui se passe dans les conditions extrêmes des étoiles à neutrons (vestiges extrêmement denses et en rotation rapide d’étoiles qui sont passées par le stade de supernova et qui ont perdu leurs couches externes). Ces noyaux d’étoile se sont effondrés au point où les neutrons et les protons sont agglutinés ensemble. Les particules s’assemblent par paires à mesure que l’étoile à neutrons se refroidit, ce qui leur donne des propriétés émergentes comme la superfluidité et la supraconductivité.

« J’étudiais les supraconducteurs à l’intérieur des étoiles à neutrons, se souvient M. Metlitski. Quelqu’un m’a alors demandé : ‘Pourquoi ne pas étudier les supraconducteurs qui sont ici sur la Terre?’ » [traduction] C’est ce qu’il a fait.

Selon M. Metlitski, la physique de la matière condensée est presque un contraire de la physique des hautes énergies. La physique des hautes énergies vise à décomposer la nature pour en découvrir les éléments constitutifs fondamentaux. La physique de la matière condensée consiste à partir des constituants élémentaires connus, afin de comprendre ce qui se passe lorsque l’on en met plusieurs ensemble. Même des forces, considérées comme fondamentales en physique des particules, peuvent être des phénomènes émergents lorsqu’on les étudie du point de vue de la matière condensée.

Max Metlitski a fait ses études de doctorat à l’Université Harvard sous la direction de Subir Sachdev, pionnier de la physique de la matière condensée qui a depuis été nommé titulaire de la chaire Cenovus-Energy-James-Clerk-Maxwell de l’Institut Périmètre (à titre de chercheur invité). Après son doctorat, M. Metlitski a obtenu une bourse postdoctorale à l’Institut Kavli de physique théorique de l’Université de la Californie à Santa Barbara. Au passage, ses travaux sur les supraconducteurs lui ont valu en 2014 le prix William-L.-McMillan, qui récompense les contributions exceptionnelles d’un jeune physicien de la matière condensée.

En octobre 2015, Max Metlitski est devenu la plus récente recrue au sein du corps professoral de l’Institut Périmètre, renforçant l’équipe en croissance rapide de l’Institut dans le domaine de la matière condensée. Selon lui, l’Institut Périmètre est un établissement très prestigieux, qui lui laisse la liberté de se concentrer sur ses recherches, de même que la possibilité de travailler avec des collègues fantastiques.

Le programme de recherches en cours d’élaboration par M. Metlitski à l’Institut Périmètre va au-delà des supraconducteurs pour englober tous les états de la matière hautement cohérents où il y a de fortes interactions et corrélations entre particules. À titre d’exemple, cela comprend les condensats de Bose-Einstein, où les atomes ont en commun un seul état quantique proche du zéro absolu et possèdent d’étranges propriétés telles que la capacité de ralentir la lumière.

Ce programme de recherches porte également sur le régime de « métal étrange » dans les supraconducteurs à haute température tels que les cuprates, céramiques d’oxyde de cuivre qui ont été altérés par l’ajout ou le retrait d’électrons par un processus dit de dopage.

Au-dessus d’une certaine température, généralement quelques kelvins, la plupart des supraconducteurs (comme le mercure, le plomb et l’aluminium) perdent leurs capacités supraconductrices et deviennent des métaux conventionnels dont on connaît bien les propriétés.

Quelques supraconducteurs à « haute température » peuvent conserver leurs propriétés supraconductrices jusqu’à 138 K (ce qui est encore très froid). Les cuprates sont encore plus étranges et déroutants : même après avoir perdu leurs propriétés supraconductrices, ils deviennent des métaux très inhabituels dont les propriétés sont difficiles à expliquer sur le plan théorique.

Max Metlitski se bat avec cette bizarrerie. « Nous ne comprenons même pas très bien l’état normal de ces matériaux, dit-il. Si nous pouvions comprendre leur état normal, peut-être que nous pourrions à plus long terme concevoir des matériaux supraconducteurs à la température ambiante. »

Ces matériaux pourraient avoir toutes sortes d’applications, de réseaux électriques superefficaces à de meilleures technologies magnétiques. « L’IRM pourrait être beaucoup moins coûteuse » [traduction], ajoute-t-il.

Le chercheur est également fasciné par les liquides de spin quantique, dans lesquels des effets quantiques peuvent faire en sorte que l’« état de spin » interne des particules d’un cristal devienne semblable à celui d’un liquide et se présente sous une forme de flux. Ce phénomène pourrait être exploité pour créer un « calcul quantique topologique », forme plus stable de calcul quantique.

Mais même si les gains potentiels permis par la physique de la matière condensée sont évidents, ce n’est pas ce qui motive Max Metlitski. Ce qui l’intéresse, c’est le mystérieux « ET » de l’émergence.

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