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Rayons cosmiques : un éclairage venu des profondeurs de la glace de l’Antarctique

Pour la première fois de l’histoire, l’Observatoire de neutrinos IceCube (Cube de glace), le télescope spatial Fermi, qui capte le rayonnement gamma, et d’autres télescopes dans le monde ont localisé une source de rayons cosmiques de haute énergie.

The IceCube Lab at the South Pole

Un seul neutrino de haute énergie étincelant dans la glace de l’Antarctique en septembre 2017 a agi comme nouveau messager cosmique du domaine en évolution rapide de l’astronomie multimessage, annonçant du même coup une percée dans un mystère vieux de 106 ans.

Quand l’Observatoire de neutrinos IceCube (Cube de glace) a détecté ce neutrino possédant une énergie particulièrement grande, il a envoyé un avis à des télescopes situés partout dans le monde (et dans le ciel) pour leur faire savoir de quelle direction provenait ce neutrino.

Le télescope spatial Fermi, qui capte le rayonnement gamma, a répondu à l’appel et renvoyé une nouvelle extraordinaire : il savait exactement d’où était venu ce neutrino, et la source était spectaculaire.

C’était un blazar, noyau actif d’une galaxie située à 4 milliards d’années-lumière de nous, dans la constellation d’Orion. Le trou noir supermassif — dont la masse est des millions à des milliards de fois celle du Soleil — situé au centre de cette galaxie accélère les gaz qui l’entourent, projetant des jets de rayonnement et de particules qui voyagent à une vitesse approchant celle de la lumière. (Les blazars correspondent aux cas précis où ces jets se trouvent projetés en direction de la Terre.)

Représentation artistique d'un blazar qui émet des neutrinos et des rayons gamma
Un blazar est un noyau actif d’une galaxie dont l’un des jets se dirige vers nous. Dans cette représentation artistique, un blazar émet des neutrinos et des rayons gamma qui ont pu être détectés par l’Observatoire de neutrinos IceCube (Cube de glace) et par d’autres télescopes situés sur terre et dans l’espace.
(Image : IceCube et NASA)

Le télescope Fermi a pu détecter les rayons gamma résultant de la collision de particules de ces jets.

Cette découverte marque la première fois où la source d’un neutrino extragalactique est identifiée de manière certaine. Cela constitue un autre succès majeur pour le domaine naissant de l’astrophysique multimessage.

« Ce résultat est une première. Jamais auparavant nous n’avons utilisé l’astrophysique multimessage pour localiser l’origine de rayons cosmiques de haute énergie », a déclaré France Córdova, directrice de la Fondation nationale des sciences des États-Unis (NSF), au cours de la conférence de presse où ces résultats ont été annoncés.

« Nous arrivons à mieux comprendre les immenses accélérateurs cosmiques de l’univers. Comme nous ne pouvons rien produire qui approche l’énergie de ces particules cosmiques, nous devons nous tourner vers le ciel pour mieux comprendre les processus dont l’énergie est la plus grande. » [traduction]

Les neutrinos sont des particules subatomiques insaisissables qui traversent l’univers à une vitesse voisine de celle de la lumière. Ils sont neutres, c’est-à-dire dépourvus de charge électrique, et n’interagissent pas avec la force électromagnétique, de sorte qu’ils sont notoirement difficiles à détecter et à suivre. Nous ne pouvons voir un neutrino que lorsqu’il frappe le noyau d’un atome. Mme Córdova a souligné qu’avec un détecteur ayant les dimensions du corps humain, on pourrait mesurer une telle collision seulement une fois tous les 100 000 ans.

Pour augmenter les chances de détecter un neutrino, il faut un immense détecteur de neutrinos. C’est le rôle que joue l’Observatoire de neutrinos IceCube (Cube de glace).

Situé à la base antarctique Amunsden-Scott Pôle Sud, le détecteur est formé d’un kilomètre cube de glace absolument claire (d’une masse de plus d’un milliard de tonnes, soit 1038 atomes avec lesquels des neutrinos peuvent entrer en collision), traversée par plus de 80 longs fils d’équipement sensible. Le long de ces fils, comme les perles d’un collier, des milliers de moniteurs optiques numériques sont prêts à détecter le rayonnement produit lorsqu’un neutrino entre en collision avec un atome.

Les neutrinos et les rayons cosmiques vont main dans la main : les processus physiques qui produisent des rayons cosmiques produisent aussi des neutrinos. Les neutrinos peuvent donc servir d’intermédiaires pour recueillir de l’information sur les rayons cosmiques (qui, malgré leur nom, ne sont pas du tout des rayons, mais plutôt des protons et des noyaux atomiques de haute énergie qui viennent de l’espace et bombardent constamment la Terre).

Il est pratiquement impossible de déterminer la source de rayons cosmiques : comme ce sont des particules chargées, leur trajectoire est déviée par les champs magnétiques qu’ils traversent au cours de leur voyage dans l’univers. Au voisinage de la Terre, ils entrent en collision avec des particules présentes dans l’atmosphère, ce qui brouille encore davantage leur origine.

Par contre, les neutrinos filent tout droit. Ils sont insaisissables, mais cela constitue un grand avantage : comme ils n’interagissent pas avec la lumière ou les champs magnétiques, ils voyagent sans entrave et en ligne droite dans l’univers — et leur trajectoire indique exactement d’où ils viennent.

« Le but visé est de connaître les sources de rayons cosmiques en cherchant des neutrinos. Ceux-ci indiquent directement la source parce que ce sont des particules neutres », a déclaré Francis Halzen, de l’Université du Wisconsin à Madison, chercheur principal au IceCube. « Le 22 septembre 2017, c’est exactement ce qu’un neutrino a fait. » [traduction]

Après avoir détecté un neutrino, les détecteurs de l’IceCube ont calculé en 43 secondes son énergie et sa direction, et ont transmis l’information à la communauté élargie des astronomes. Au total, plus de 20 télescopes se sont orientés en direction de l’événement, chacun ajoutant une pièce au casse-tête.

Le laboraoire IceCube au Pôle Sud
Dans cette représentation artistique fondée sur une image réelle de l’Observatoire de neutrinos IceCube (Cube de glace) du Pôle Sud, une source éloignée émet des neutrinos qui sont détectés sous la surface de la glace par les capteurs de l’IceCube appelés modules optiques numériques (DOM pour Digital Optical Module).
(Image : IceCube et NSF)

« La beauté de la chose, c’est que si le télescope Fermi n’avait pas trouvé le blazar, cela n’aurait été pour nous qu’une détection de neutrino parmi d’autres, a déclaré M. Halzen. Pour le télescope Fermi seul, cela n’aurait été qu’une observation de blazar parmi d’autres. Mais l’ensemble est devenu la découverte d’une source de rayons cosmiques, parce que les 2 observatoires ont travaillé en tandem.

« Et ce n’était que le commencement. Après avoir identifié cette direction intéressante dans le ciel, nous sommes retournés voir les données correspondantes enregistrées depuis des années. Nous avons trouvé qu’en 2014, il y avait eu une poussée de neutrinos — on en avait détecté plus d’une douzaine en 150 jours. » [traduction]

L’énergie des neutrinos correspondait exactement aux prédictions issues de la théorie dans le cas d’un accélérateur cosmique tel qu’un blazar.

La capacité d’étudier l’univers des hautes énergies par l’intermédiaire des neutrinos ouvre une profusion de nouvelles possibilités, selon Niayesh Afshordi, professeur associé à l’Institut Périmètre. « Jusqu’à maintenant, les photons étaient notre seul moyen de découvrir l’univers, a-t-il déclaré. L’utilisation des neutrinos constitue vraiment une nouvelle manière de voir les choses.

« Cette observation simultanée de rayons gamma et de neutrinos nous révèle essentiellement ce qui pourrait être à l’origine des rayons gamma — parce que ce doit être quelque chose qui produit des neutrinos en même temps. Cela limite de manière spectaculaire l’éventail des possibilités. C’est cela qui est intéressant. Le fait de sonder de plusieurs manières un processus physique permet de restreindre de manière exponentielle la gamme des possibilités. » [traduction]

Cliff Burgess, professeur associé à l’Institut Périmètre, a assisté à l’annonce alors qu’elle était diffusée en direct au bistro Black Hole de l’Institut. Cette annonce coïncidait de manière fortuite avec l’École d’été tripartite de 2018 sur les particules élémentaires (TRISEP), école d’été internationale organisée conjointement par l’Institut Périmètre, le laboratoire SNOLAB et TRIUMF. TRISEP avait lieu cette année à l’Institut Périmètre, et Francis Halzen y était conférencier invité.

Des scientifiques résidants de l'Institut Périmètre assistent à l'annonce de l'Observatoire IceCube.
Des scientifiques résidants de l’Institut Périmètre sont réunis pour voir la conférence de presse de la NSF, au cours de laquelle l’équipe d’IceCube et d’autres observatoires situés sur la planète et dans l’espace ont annoncé avoir identifié la première source probable de neutrinos et de rayons cosmiques de haute énergie.

« Francis a fait quelque chose d’extraordinaire pour nous, a déclaré M. Burgess. Nous l’avions invité avant que la découverte ne soit révélée. Normalement, dans un tel cas, un chercheur dirait que quelque chose d’intéressant s’en vient, mais qu’il ne peut pas en parler. »

Au lieu de cela, Francis Halzen a consacré l’un de ses cours à parler des résultats avec les étudiants. « Il a dit que c’était la première fois qu’il en parlait à qui que ce soit. C’était son premier exposé sur le sujet, et ce sont les étudiants inscrits à l’école d’été qui y ont eu droit. En principe, une telle chose n’arrive jamais. C’était tout simplement spectaculaire. Le conférencier a reçu des réactions — les étudiants étaient nettement intéressés. Ils ont été les premiers au monde à voir ces résultats. C’est phénoménal. » [traduction]

Cliff Burgess a déclaré que, à titre de théoricien, il est surtout intéressé à trouver les lacunes et les pièces manquantes du casse-tête : « Il y aura des trous dans l’image. Au début, certaines choses ne fonctionneront pas tout à fait, et c’est là que c’est le plus intéressant. » [traduction]

Et Niayesh Afshordi d’ajouter : « Nous en sommes aux premiers balbutiements de l’astronomie multimessage, avec les ondes gravitationnelles et les neutrinos, et je crois que les choses vont devenir beaucoup plus passionnantes. On pourra faire de la véritable astronomie avec tout cela, découvrir de nombreux objets et faire différentes études au cours des prochaines décennies. » [traduction]

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