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Comment la nature contrôle le nombre de prédateurs

Matteo Smerlak, physicien à l’Institut Périmètre, a contribué à la découverte d’une nouvelle loi de puissance régissant les prédateurs et les proies, qui façonne la répartition de la biomasse dans les écosystèmes.

En matière de prédateur et de proie, l’arithmétique peut sembler simple : au bout d’un certain temps de mastication et de digestion, un plus un égale un.

Mais en réalité, la science des systèmes écologiques est extraordinairement complexe.

Cela peut expliquer pourquoi Matteo Smerlak, postdoctorant à l’Institut Périmètre, a fait partie d’une équipe qui a combiné données empiriques et modélisation mathématique pour découvrir une relation d’une simplicité inattendue entre les prédateurs et leurs proies.

En se servant des outils qu’il emploie généralement pour résoudre des problèmes de physique fondamentale, M. Smerlak a contribué à démontrer que, lorsqu’il y a une hausse importante du nombre de proies dans un écosystème, le nombre de prédateurs augmente également, mais beaucoup moins rapidement.

L’article résultant de ces travaux, publié ce mois-ci dans la revue Science, explique que le ratio entre les prédateurs et les proies respecte de manière constante une loi mathématique appelée fonction de puissance.

« Il s’agit d’une relation générale qui s’applique non seulement aux mammifères dans la savane, mais aussi aux algues et au plancton, déclare M. Smerlak. C’est un modèle d’une portée très large qui pourrait unifier de nombreux systèmes du monde vivant. » [traduction]

Ian Hatton, biologiste à l’Université McGill et auteur principal de l’article, faisait des recherches sur les prédateurs et les proies pour son doctorat lorsqu’il a rencontré Matteo Smerlak en 2013 à l’Institut Santa Fe, lors d’une École d’été sur les systèmes complexes, où des scientifiques d’horizons divers se réunissent pour travailler sur des problèmes difficiles.

M. Hatton analysait plus de 1 000 études sur des animaux portant sur 2 260 communautés de mammifères, d’invertébrés, de plantes et de plancton dans le monde. Il avait une forte intuition que ces données commandaient une mise à jour majeure de la théorie des prédateurs et des proies, mais il n’avait pas la formation mathématique voulue pour savoir comment aborder le problème.

C’est là que sont entrées en scène les compétences théoriques de M. Smerlak. Avec Ian Hatton, il a écrit et analysé de nouvelles équations décrivant les interactions entre les prédateurs et leurs proies – des équations tenant compte des données au lieu de s’y opposer, comme le faisaient les équations précédentes.

« L’écologie est souvent confrontée à des échelles très grandes, où la collecte de données est très difficile », a expliqué M. Hatton par courriel.

« Pour notre étude, nous voulions faire des comparaisons entre plusieurs écosystèmes, par exemple sur l’évolution du plancton dans différents lacs d’Europe et d’Amérique du Nord, ou encore sur l’évolution des carnivores et des herbivores dans les parcs de l’Afrique orientale et méridionale. Il fallait pour cela analyser d’énormes quantités de données provenant d’anciennes archives qui n’avaient encore jamais été regroupées. » [traduction]

En collaboration avec d’autres chercheurs, Ian Hatton a découvert une loi de puissance qui détermine le rapport entre la masse des prédateurs et celle des proies dans un écosystème.

Il a été surpris par le caractère universel du résultat : « Presque toutes les données que nous avons analysées entraient bien dans ce cadre, même si elles avaient été recueillies par des chercheurs différents, à des moments, dans des lieux et des circonstances, etc., divers. » [traduction]

Mieux que cela, la même loi de puissance s’applique à la croissance des populations de proies seules : si tous les prédateurs venaient à disparaître d’un seul coup, la population de proies croîtrait, mais de plus en plus lentement. Les équations de MM. Smerlak et Hatton expliquent justement comment les deux modèles – les ratios prédateurs-proies et la production de proies – sont reliés.

Ce modèle est en outre remarquablement semblable, notent les auteurs, au taux de croissance de chaque animal. Cela donne à penser qu’il pourrait correspondre à un processus constant dans plusieurs niveaux d’organisation des systèmes vivants, des cellules jusqu’aux populations animales.

Ce n’est pas la première fois que Matteo Smerlak travaille en dehors de son domaine habituel de la physique théorique. Mues par la curiosité plutôt que par une réelle intention, les collaborations du postdoctorant ont touché pour l’instant la macro-économie (propriétés de solidité des réseaux bancaires et inégalités de richesse), la biologie (structure statistique de l’évolution darwinienne), et maintenant l’écologie.

« Je n’ai pas de stratégie visant à tout explorer. Si quelque chose m’intéresse, je l’intègre à mes recherches », affirme-t-il.

« Cela m’aide à éviter le sentiment d’être dans un coin sombre et spécialisé de la science. Je me sens plus complet, et aussi plus créatif, sur les plans scientifique et intellectuel. » [traduction]

Pour le biologiste Ian Hatton, la collaboration avec un physicien est tombée à pic et a donné des résultats au-delà du simple traitement de données.

« Les physiciens ont une formation quantitative à laquelle les biologistes sont rarement exposés, dit-il. Les physiciens donnent souvent l’impression de rendre complexes des choses simples, mais ils peuvent parfois rendre des choses complexes vraiment simples et élégantes. » [traduction]

Cependant, il reste encore beaucoup de travail à faire. Selon M. Smerlak, les résultats publiés dans cet article de la revue Science sont considérables, mais il manque en premier lieu une explication de ce qui commande la production de proies.

« Nous ne savons pas pourquoi les populations de proies devraient croître de plus en plus lentement, pourquoi elles devraient suivre une “loi de rendements décroissants”, dit-il. Nous n’avons aucune explication à ce sujet.

« Ian m’a convaincu qu’il y a un mécanisme général, simple et abstrait qui produit ce modèle. J’aimerais beaucoup contribuer à trouver ce mécanisme. » [traduction]

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