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Grand boum ou grand rebond?

Un nouveau modèle de cosmologie quantique montre comment l’univers actuel aurait pu naître d’un univers précédent – tout en évitant la physique chaotique de la singularité du Big Bang.

La cosmologie a un problème.

Ce problème commence, tout comme l’univers, avec le Big Bang.

La cosmologie standard décrit le commencement de l’univers comme une singularité : c’est-à-dire un point unique, qui n’occupe aucun espace mais contient toute la matière de l’univers. Comme si toute la réalité était divisée par zéro, cette singularité n’est pas définie. Elle n’a ni intérieur ni extérieur; on ne peut pas la décrire. À cette singularité, les lois de la physique ne tiennent plus du tout.

« Il y a là un problème », affirme Neil Turok, cosmologiste et directeur de l’Institut Périmètre. « La cosmologie standard commence par une impossibilité. » [traduction]

Travaillant avec Steffen Gielen, ancien postdoctorant à l’Institut Périmètre et maintenant boursier au Collège impérial de Londres, Niel Turok a jeté un regard neuf sur le commencement en apparence impossible de l’univers. Cette nouvelle recherche est citée comme suggestion du rédacteur en chef dans la revue Physical Review Letters.

Les auteurs imaginent le Big Bang comme un « grand rebond » : non seulement le commencement de l’univers actuel, mais aussi la fin d’un univers précédent. Ce dernier se serait contracté pour atteindre un état dense constituant son grand effondrement final et le Big Bang du début de notre univers.

Mais même si cette idée est intuitivement satisfaisante – elle explique du moins d’où vient ce point unique de matière et d’énergie –, elle ne résout pas par elle-même les problèmes de la singularité. Celle-ci est tout aussi impossible, tout aussi indescriptible. Dans tout ce que la physique peut prédire, il subsiste des obstacles.

Alors, comment MM. Turok et Gielen ont-ils évité ces obstacles?

Ils ont d’abord considéré le comportement de tout ce qui était présent dans l’univers primitif. Pendant ses 50 000 premières années d’existence, l’univers était dominé par le rayonnement. La matière alors présente avait un niveau d’énergie très élevé et se comportait aussi comme un rayonnement. Ces objets ont une propriété particulière qui s’avère cruciale pour cette recherche : ils sont conformes.

En physique et en mathématiques, le terme conforme a une signification technique très précise, que l’on peut traduire en résumé par « est indépendant de l’échelle ». À titre d’exemple, la lumière est conforme. Elle peut prendre la forme d’ondes radio longues de plusieurs kilomètres, ou de rayons X dont la longueur est de l’ordre d’un noyau atomique. Les équations de Maxwell régissent aussi bien les ondes radio que les rayons X, sans faire de distinction entre les deux. La lumière n’est pas seule dans ce cas. La physique des particules laisse fortement entendre qu’à de très hautes énergies, toute la matière est également indépendante de l’échelle.

« Nos travaux partent de cette observation, explique M. Turok. Nous faisons l’hypothèse que l’univers primitif était rempli de choses qui n’avaient pas d’échelle. Nous essayons ensuite de décrire un univers quantique rempli de ce genre de matériau : comment se comporte-t-il? » [traduction]

Il se comporte plus simplement que tout ce dont les chercheurs avaient pu rêver. Ils se sont rendu compte avec surprise qu’ils pouvaient utiliser la mécanique quantique standard, sans fioritures ni facteurs arbitraires, pour décrire et prédire l’évolution de l’univers naissant. Ou encore, en faisant passer le film à l’envers, décrire comment il se contracte vers la singularité du Big Bang.

Comme l’explique M. Turok : « Il se trouve, et cela nous a surpris, que dans le cas très particulier où tout ce qu’il y a dans l’univers est conforme et tout ce que l’on étudie est la taille de l’univers, nous avons pu quantifier la théorie avec exactitude, et calculer précisément comment un univers d’une certaine taille évolue, selon les règles de la mécanique quantique, vers un univers d’une autre taille. » [traduction]

Décrire l’expansion ou la contraction de l’univers est une réussite majeure, mais cela n’élimine pas tous les obstacles. Mais là encore, les chercheurs ont eu une idée.

« La mécanique quantique nous sauve lorsque les choses ne fonctionnent pas, affirme M. Gielen. Tout comme elle empêche les électrons de tomber et de détruire les atomes, peut-être pourrait-elle épargner à l’univers un début et une fin aussi violents que le Big Bang et le grand effondrement. » [traduction]

Eh bien, il se trouve qu’elle le pourrait.

Dans le modèle créé par MM. Gielen et Turok, l’univers s’approche du point de singularité, puis saute par-dessus. Comme une horloge qui éviterait de sonner minuit en enlevant temporairement ses aiguilles juste avant l’heure fatidique, l’univers fait cela en accédant à une autre dimension.

La dimension « supplémentaire » en question est imaginaire : elle est décrite par des nombres contenant la racine carrée de moins un. L’univers quantique de ce modèle est décrit par des nombres complexes – des nombres qui ont une partie réelle et une partie imaginaire. Au moment de la singularité, qui correspond au minuit de l’horloge, l’univers peut n’avoir aucune taille réelle, mais quand même posséder une taille imaginaire – et donc être toujours décrit par les lois de la physique. Le problème de la singularité est ainsi résolu, et l’obstacle éliminé.

Cela peut ressembler à une tricherie, mais les nombres imaginaires et complexes sont omniprésents en physique quantique. Dans ces travaux, MM. Turok et Gielen utilisent les propriétés mathématiques bien établies qui décrivent l’effet tunnel quantique : un phénomène de la mécanique quantique en vertu duquel une particule traverse une barrière qui est trop haute pour être franchie.

Plus qu’un tour de passe-passe mathématique, l’effet tunnel quantique explique comment la fusion nucléaire fonctionne à l’intérieur du Soleil. Il est aussi à la base de technologies connues telles que le microscope électronique à effet tunnel.

Conclusion : La cosmologie du grand rebond – selon laquelle un univers se contracte dans un grand effondrement jusqu’à ce qu’un autre émerge d’un Big Bang – n’est pas une idée nouvelle. Neil Turok en particulier est depuis plus d’une décennie l’un des principaux promoteurs d’une telle cosmologie cyclique. Mais le point délicat a toujours été le moment du rebond lui-même : la singularité.

Ces nouvelles recherches montrent comment le simple fait de supposer que tout était conforme dans l’univers primitif permet de décrire une cosmologie quantique selon laquelle l’univers recule jusqu’à la singularité, la franchit en douceur, puis repart de l’autre côté, le tout sans obstacle.

Pas surprenant que les chercheurs aient parlé de « rebond parfait » dans le compte rendu de leurs travaux.

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