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Un nouveau paradigme pour l’intelligence artificielle et la physique

Avec le lancement d’un nouveau laboratoire de collaboration, des physiciens alimentent la révolution de l’IA, selon Roger Melko, professeur associé à l’Institut Périmètre.

Roger Melko

L’intelligence artificielle (IA) est là pour rester. Nous la voyons à l’œuvre chaque fois que nous utilisons nos téléphones multifonctionnels ou que nous accédons à nos réseaux sociaux. Alors que nous assistons en temps réel à la révolution de l’IA dans nos vies, il est légitime de se demander comment les physiciens contribueront à ce nouveau monde et comment le recours à l’apprentissage automatique changera notre manière d’aborder la physique.

La plupart des travaux révolutionnaires qui alimentent la recherche en IA se font dans des laboratoires tels que OpenAI, DeepMind, BAIR (Berkeley Artificial Intelligence Research – Recherche en intelligence artificielle de Berkeley) et bien d’autres. Tous ces laboratoires sont connus pour leur culture d’innovation et doivent leur succès en grande partie à d’étroites collaborations entre le milieu universitaire et des entreprises de la Silicon Valley.

Les géants de la technologie offrent aux meilleurs spécialistes de l’IA des conditions alléchantes : des salaires élevés, un degré enviable de liberté académique, ainsi que la chance d’être à la fine pointe de la recherche. Cela a pour effet de faire pencher la recherche et d’attirer beaucoup de cerveaux vers l’industrie, et ce d’une manière constante. On pourrait toutefois raisonnablement se demander s’il est sage de concentrer dans l’industrie une si grande partie des talents scientifiques les plus prometteurs au monde et de les faire travailler sur des sujets motivés par des priorités commerciales comme la reconnaissance faciale ou le traitement des langues naturelles.

Quel rapport cela a-t-il avec la physique? Comme le savent les gens du milieu de l’IA, beaucoup de ces talents de premier ordre viennent du domaine de la physique. Des physiciens remplissent les laboratoires de recherche en IA à tous les niveaux de l’industrie. Ils y sont à l’aise grâce à leur maîtrise des outils que sont les mathématiques avancées et l’informatique. Et tout cela se passe alors que de plus en plus de sous-domaines de la physique incorporent dans la recherche des outils et stratégies de l’IA. La demande pour des physiciens informaticiens de haut niveau augmente dans le milieu universitaire.

Pour certains de mes amis qui travaillent en physique quantique et moi-même, cette tendance est devenue claire il y a environ 3 ans, après que la recherche en IA eut fait ses premières incursions dans notre domaine. Nous avons commencé à nous demander s’il était possible que la physique, et les physiciens, puissent bénéficier de la même dynamique énergique et performante que les autres chercheurs en IA.

En réponse à cette question, l’Institut Périmètre a fondé l’an dernier le premier laboratoire d’IA mis sur pied dans un institut de recherche en physique. Le Laboratoire d’intelligence quantique de l’Institut Périmètre, en abrégé PIQuIL (prononcé en anglais pickle – cornichon) pour Perimeter Institute Quantum Intelligence Lab, a été créé par des physiciens pour des physiciens. Il vise l’excellence en recherche et formation à l’intersection de la physique quantique et de l’apprentissage automatique : utiliser l’IA pour concevoir la prochaine génération de matériaux et ordinateurs quantiques.

Dans l’esprit qui anime les laboratoires souples et innovateurs d’IA, les chercheurs résidants du PIQuIL franchissent les frontières entre recherche universitaire et recherche industrielle tout en mettant l’accent sur la science pure. Une caractéristique propre au PIQuIL est que son volet industriel comprend le monde en plein essor des entreprises et jeunes pousses d’informatique quantique.

Les chercheurs du PIQuIL travaillent quotidiennement avec des données réelles fournies par des laboratoires d’informatique quantique. On les retrouve souvent parmi des théoriciens et des praticiens de l’apprentissage automatique membres d’institutions de premier plan telles que l’Institut Vecteur d’intelligence artificielle. Et dans ce milieu de recherche interdisciplinaire, une nouvelle génération d’étudiants talentueux, issus des programmes universitaires de premier cycle et d’études supérieures en physique, reçoit une formation sur les recherches de pointe en intelligence artificielle.

Le PIQuIL est un partenariat vivant et enthousiasmant entre les milieux universitaire, gouvernemental et industriel. Son personnel comprend des physiciens résidants provenant de l’Institut Périmètre, de l’Université de Waterloo, du Conseil national de recherches du Canada et de la jeune pousse canadienne 1QBit. Ces chercheurs travaillent dans le milieu dynamique fourni par Communitech, le pôle public-privé d’innovation de la région de Waterloo.

Ce partenariat donne un mélange assez éclectique de physiciens. En visitant notre laboratoire, vous pouvez aussi bien tomber sur des étudiants qui construisent un ensemble de GPU, qui réfléchissent à divers thèmes ou qui discutent de modèles de décohérence pour un ordinateur quantique à ions piégés. Lorsque nous ne sommes pas dans notre restaurant coréen favori, nous versons des contributions dans GitHub pour des logiciels comportant des échéances. Mais nous trouvons quand même le temps d’écrire des blogues sur notre langage de programmation ou notre technique d’apprentissage automatique favoris.

Nous venons d’aussi loin que les États-Unis, la Moldavie, le Cameroun, l’Ukraine, la Chine…, et d’aussi près que Waterloo, Kitchener et Toronto. Des membres du PIQuIL font des stages dans la Silicon Valley, dans des entreprises privées et dans de jeunes pousses d’informatique quantique. Mais lorsque nous sommes chez nous, nos idées circulent librement et ouvertement, en ligne et dans des revues spécialisées.

Notre but est de faire de la science pure. Mais nous espérons que les découvertes algorithmiques du PIQuIL se traduiront par des innovations plus larges en IA, autant dans des applications industrielles que dans les fondements théoriques de la discipline. Des anciens étudiants de notre laboratoire ont déjà obtenu des postes dans le milieu universitaire et dans l’industrie, semant ces idées dans l’écosystème mondial de l’IA quantique. Ces physiciens sentent que le monde change, et ils veulent faire partie de cette évolution.

Pour ma part, je participe à ce projet tout simplement parce que je le trouve absolument fascinant. Pas seulement dans la manière dont l’IA évolue si vite, ce qui est fantastique en soi. Mais c’est également fascinant de voir le domaine évoluer à travers les yeux d’une équipe dynamique de jeunes physiciens, qui sont réellement enthousiasmés par leur travail. Ils savent qu’ils peuvent changer le monde. Changeront-ils aussi la physique par la même occasion?

– Roger Melko est professeur associé à l’Institut Périmètre et titulaire de la chaire de recherche du Canada en physique quantique informatique des systèmes à N corps.

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