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Une épreuve cosmologique en préparation

Selon deux chercheurs de l’Institut Périmètre, la théorie de la relativité générale d’Einstein pourrait bientôt être soumise à l’épreuve ultime avec des mesures de l’ombre d’un trou noir.

Même si elle date de plus de 100 ans, la théorie de la relativité générale d’Einstein est toujours une formidable championne.

Cette théorie, qui décrit avec succès la gravité comme une conséquence de la courbure de l’espace-temps, a réussi tous les tests expérimentaux que les physiciens ont pu lui faire subir depuis des décennies.

Maintenant, pour espérer mettre au défi la relativité générale, les physiciens doivent lui opposer un poids lourd. Voici donc le premier aspirant au titre : le relativement petit mais imposant trou noir de 4,5 millions de masses solaires situé au centre de la Voie lactée.

Le témoin du combat sera le télescope EHT (Event Horizon Telescope – Télescope horizon des événements), un radiotélescope en réseau aussi grand que la Terre, en cours de configuration pour capter des images précises de la silhouette (ou de l’ombre) du trou noir appelé Sagittaire A*.

Tim Johannsen, postdoctorant à l’Institut Périmètre et à l’Université de Waterloo, qui travaille avec Avery Broderick, professeur associé à l’Institut Périmètre dans le cadre d’une nomination conjointe avec l’Université de Waterloo, dirige un groupe de chercheurs dans le calcul des mesures qui serviront à déterminer si la relativité générale tient vraiment le coup dans le contexte de forte gravité de ce trou noir.

Leur article a été récemment publié dans Physical Review Letters, de même qu’un résumé accessible de leurs travaux.

Lorsque les images du trou noir seront captées et que les mesures décrites dans ce récent article seront effectuées, cela constituera le premier test vraiment étendu de la relativité générale dans un régime de gravité forte.

« Cette perspective est vraiment excitante, déclare M. Johannsen, et nous espérons pouvoir compléter ce test d’ici quelques années. » [traduction]

Les trous noirs sont des régions de l’espace-temps où la gravité est si forte que même la lumière ne peut s’en échapper une fois qu’elle a franchi le point de non-retour appelé horizon des événements. Comme le suggère leur nom, les trous noirs sont sombres.

Mais en raison de leur énorme gravité, les trous noirs attirent de gigantesques quantités de poussière et de gaz venant des étoiles environnantes. Cette matière s’agglutine dans un disque de plasma chaud en rotation qui illumine la silhouette du trou noir. Le télescope EHT sera capable de capter ce disque d’accrétion pour produire des images qui constitueront une première historique.

Beaucoup de calculs physiques seront effectués sur les données recueillies à partir de ces images, mais le test de la relativité générale est probablement le défi le plus excitant.

La relativité générale a connu des succès fantastiques. Dans toutes les expériences effectuées pour vérifier comment le Soleil et les étoiles du cosmos affectent l’espace-temps et exercent une attraction gravitationnelle sur d’autres objets, ses prédictions se sont avérées justes.

Mais la question est de savoir si la théorie continuera de résister dans un contexte de gravité forte comme le voisinage d’un trou noir.

Les trous noirs sont si massifs et compacts que les effets de déformation de l’espace-temps prédits par la relativité générale y seraient plus manifestes qu’autour du Soleil ou d’autres étoiles, et ce, de plusieurs ordres de grandeur, selon Avery Broderick.

« Cela signifie que nous sommes en terrain inconnu et que nous ne savons pas ce que nous allons trouver, dit-il. Le télescope EHT nous donne l’occasion de commencer un examen critique de la nature non-linéaire de la relativité générale dans un contexte de gravité forte. » [traduction]

Cela est important pour les physiciens parce que, même si la relativité générale explique avec un succès incontestable le cosmos visible, elle amène un certain nombre de difficultés. « Par exemple, explique Tim Johannsen, on ne sait pas exactement comment il faudrait la combiner avec la physique quantique, et il est de fait très difficile de concilier les deux théories dans un grand schéma d’unification. » [traduction]

De plus, il y a le problème de la mystérieuse énergie sombre qui entraîne l’expansion accélérée de l’espace-temps, ainsi que l’énigme de la nature de la matière sombre, masse invisible qui explique en théorie le rythme observé de rotation des galaxies qui empêche l’éclatement des amas de galaxies. Les physiciens espèrent que les connaissances acquises sur la relativité générale dans un contexte de gravité forte permettront d’expliquer ces mystères.

L’équipe de Tim Johannsen a mis au point une manière de vérifier jusqu’à quel point le milieu gravitationnel de ce trou noir pourrait s’écarter de la théorie de la relativité générale et d’autres théories de la gravitation.

L’article définit des contraintes sur les paramètres de dimension de l’ombre pour que celle-ci soit compatible avec la relativité générale. D’autres modèles de la gravitation proposent aussi des modifications à la théorie de la relativité générale. C’est le cas par exemple de la théorie de la gravité modifiée et du modèle d’univers branaire de Randall-Sundrum (RS2). L’article définit également les contraintes pour que le trou noir soit compatible avec ces modèles de la gravitation.

« Nous avons fait la première estimation réaliste de la grande précision avec laquelle le télescope EHT peut détecter la taille de l’ombre, affirme M. Johannsen. Nous démontrons qu’une telle mesure peut constituer un test précis de la relativité générale. » [traduction]

En prime, les chercheurs obtiendront aussi des mesures beaucoup plus précises de la masse du trou noir et de la distance qui nous en sépare. « Cette meilleure précision est fantastique, poursuit M. Johannsen, car elle nous permettra de définir des contraintes encore plus précises sur les écarts par rapport à la relativité générale. » [traduction]

Nous avons déjà de bonnes estimations de l’éloignement et de la masse de Sagittaire A*, grâce à d’autres expériences qui ont examiné le mouvement des étoiles en orbite autour du trou noir, ainsi qu’à des mesures effectuées à l’aide de masers (analogues à des lasers, mais avec des micro-ondes) dans toute la voie lactée, explique M. Johannsen. « Des scientifiques travaillent sur ce sujet depuis une vingtaine d’années. » [traduction]

Ces résultats peuvent donner une idée de ce que nous devrions obtenir. Mais lorsque les images du télescope EHT seront disponibles, des vérifications seront possibles : « Obtiendrons-nous ce à quoi nous nous attendons, demande Tim Johannsen, ou quelque chose d’autre? » [traduction]

Pour faire les mesures requises, il suffit en fait de tracer un ensemble de lignes à partir du centre de l’image du trou noir jusqu’aux bords de son ombre. Sur l’image, cela ressemble à une tarte dont on a coupé des pointes. La mesure de ces lignes et le calcul de leur longueur moyenne « donnent la taille angulaire (ou taille apparente) de l’ombre, ce qui nous permet d’en connaître les dimensions » [traduction], explique M. Johannsen.

Les mesures des dimensions de l’ombre permettent de voir jusqu’à quel point la gravité dans l’environnement du trou noir correspond aux prédictions de la relativité générale et d’autres théories de la gravitation.

Et Tim Johannsen de poursuivre : « Si la théorie de la relativité générale est erronée, il pourrait y avoir des différences significatives entre les dimensions prévues et mesurées. L’ombre du trou noir pourrait aussi ne pas être symétrique et avoir par exemple une forme ovoïde plutôt que circulaire. » [traduction]

Il faudra encore quelques années avant de pouvoir effectuer ces mesures, parce qu’il faut coordonner au moins 7 ou 8 des télescopes du réseau EHT pour obtenir les données au même moment, ce qui exige une grande collaboration à l’échelle planétaire.

La quantité de données brutes à recueillir est si énorme que ces données ne pourront même pas être transmises par Internet.

« C’est gargantuesque, dit M. Johannsen. Il faut littéralement enregistrer toutes ces données sur des disques rigides, puis emballer ces disques et les expédier physiquement. » [traduction]

Les disques seront envoyés à l’observatoire Haystack du MIT, qui constitue le siège social du télescope EHT, où les données seront analysées, et les images produites.

Ensuite, Tim Johannsen compte utiliser sa technique de mesure pour voir si la relativité générale demeure valable dans le milieu de gravité forte qui entoure ce trou noir.

Cette expérience n’est pas la seule en préparation pour mettre à l’épreuve la relativité générale dans un contexte de gravité forte. D’autres expériences sophistiquées visent par exemple à détecter les ondes gravitationnelles prédites par la relativité générale. Mais la principale candidate serait eLISA (Evolved Laser Interferometer Space Antenna – Antenne spatiale à interférométrie laser évoluée), télescope spatial dont le lancement est prévu pour 2034. Le télescope EHT produira des images d’ici quelques années.

S’il s’avère que les mesures donnent exactement ce qui était prévu et que la relativité générale tient bon, cela sera intéressant, « parce que, dit Tim Johannsen, Einstein a formulé cette théorie il y a 100 ans, et que nous saurons qu’elle est juste » [traduction].

Mais si l’aspirant devait l’emporter, et que la gravité forte invalide la théorie de la relativité générale, « ce serait quelque chose d’énorme » [traduction], ajoute-t-il.

− Rose Simone
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