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Un atelier cherche à unifier la physique, ainsi que 2 théories importantes

Les participants au premier atelier Simons-Emmy-Noether se sont attaqués à des questions épineuses allant de la nature de l’espace-temps aux barrières systémiques dans le milieu universitaire.

Participants of the "Emmy Noether Workshop: The Structure of Quantum Space Time"

Lorsque Astrid Eichhorn a posé une question à la suite d’un exposé, les têtes ne se sont pas tournées vers elle.

À prime abord, cela peut sembler banal — après tout, c’est tout à fait normal de poser une question ou de faire un commentaire à l’issue d’un exposé scientifique. Mais lorsqu’on est une femme dans un secteur dominé par les hommes, cette simple prise de parole peut suffire à se faire remarquer.

Par contre, lors de l’atelier Emmy-Noether sur la structure de l’espace-temps quantique, pour une fois, Mme Eichhorn ne faisait pas partie de la minorité. En effet, la plupart des participants — tous experts de divers aspects de la gravitation quantique — étaient aussi des femmes.

Cet atelier de 5 jours, organisé à l’Institut Périmètre en novembre 2019, a réuni plus de 40 chercheurs travaillant sur la gravitation quantique. Plusieurs participantes étaient des membres actuelles ou anciennes du programme Simons-Emmy-Noether, qui offre des bourses de scientifiques invitées permettant à des chercheuses douées de travailler à l’Institut Périmètre à un stade crucial de leur carrière.

Pour Astrid Eichhorn, professeure agrégée à l’Université du Danemark du Sud et scientifique invitée à l’Institut Périmètre, l’absence de nouveauté de sa présence était en soi une nouveauté. « Je n’ai pas eu à vivre ce moment où tout le monde se retourne en se demandant d’où vient cette voix féminine, dit-elle. Ici, c’est simplement normal qu’il y ait des voix féminines. Cela crée une atmosphère différente qui me réjouit. » [traduction]

Décortiquer la nature de l’espace-temps

Bianca Dittrich, professeure à l’Institut Périmètre et co-organisatrice de l’atelier, a déclaré que celui-ci avait un thème volontairement large, afin d’encourager les échanges entre les diverses manières d’aborder la gravitation quantique qui ont surgi au cours des dernières décennies.

« Dans un atelier trop spécialisé, dit-elle, les gens ont tendance à ne communiquer que dans un langage très spécialisé et n’ont pas conscience des avantages que l’on ne découvre qu’en ayant un point de vue un peu différent. » [traduction]

Bianca Dittrich
Bianca Dittrich, professeure à l’Institut Périmètre

Le domaine de la gravitation quantique englobe les efforts visant à faire le pont entre 2 théories marquantes de la physique : la relativité générale (qui décrit la gravité, l’espace et le temps à l’échelle macroscopique) et la mécanique quantique (qui décrit les phénomènes survenant à l’échelle de l’infiniment petit).

Ces 2 théories sont en désaccord depuis près de 100 ans. Au cœur de ce désaccord, il y a la nature de la trame de l’univers lui-même. En relativité générale, elle est lisse et continue; en physique quantique, à l’échelle des particules subatomiques, l’espace-temps est discret et granulaire, comme les pixels d’une photo numérique.

Ce problème a été abordé sous plusieurs angles différents, et la plupart des chercheurs s’entendent sur une chose : aucune méthode n’a résolu la question de manière tout à fait satisfaisante. Du moins pas jusqu’à ce jour.

Mme Eichhorn soupçonne que la solution émergera une fois que toutes les manières d’aborder la question auront été réunies. « Pour le moment, dit-elle j’essaie d’établir des liens entre les diverses manières d’aborder la gravitation quantique, parce que selon moi elles ont toutes produit certaines idées. »

Mais elle estime que cela ne sera pas facile : « C’est une tâche difficile, parce que chaque avenue de recherche a ses aspects techniques, son propre langage ou même son propre jargon. Il faut donc investir beaucoup de temps et d’efforts pour en comprendre ne serait-ce qu’une seule, et à plus forte raison plusieurs. Cela ne se fait pas en claquant des doigts. » [traduction]

Qui plus est, tous ne sont pas d’accord pour dire que l’on pourrait faire des progrès en retenant les meilleurs aspects de ces théories individuelles.

Renate Loll, professeure de physique théorique à l’Université Radboud de Nimègue et conférencière invitée lors de l’atelier, fait partie des dissidents : « Je ne crois pas que ce soit la recette du succès. À première vue, on pourrait penser que c’est une bonne idée d’adopter les meilleurs aspects de chaque démarche, mais les choses ne fonctionnent pas ainsi. »

Renate Loll
Renate Loll, professeure de physique théorique à l’Université Radboud de Nimègue et titulaire d’une chaire de chercheur invité distingué de l’Institut Périmètre

Mme Loll croit néanmoins qu’il y a avantage à établir un dialogue entre les diverses démarches, qui semblent toutes se buter aux mêmes embûches. De telles rencontres peuvent faire en sorte que chacun ne réinvente pas la roue.

Et beaucoup de progrès sont possibles en gravitation quantique. « Je dirais que les difficultés du domaine le rendent en même temps passionnant, dit-elle. Il ne s’agit pas d’une théorie que nous connaissons et où il ne manque que de la puissance de calcul pour obtenir des résultats. Pas du tout : nous en sommes encore à essayer de comprendre quelles sont les bonnes questions. »

Une fois les bonnes questions posées, Renate Loll croit que les meilleures chances de progrès résident dans le fait de poursuivre une démarche jusqu’à son point de rupture : « On apprend davantage en allant en profondeur qu’en se dispersant. » [traduction]

Favoriser une culture d’inclusion

Les désaccords peuvent être difficiles à surmonter, et les différends scientifiques ne sont pas rares. La conférencière Lisa Glaser a dit que la semaine a fourni un excellent exemple de la manière de bien gérer les affrontements entre universitaires.

Postdoctorante à l’Université de Vienne, Mme Glaser attribue à la solidité des modérateurs le fait que les désaccords scientifiques ne se soient pas transformés en attaques personnelles. « C’est agréable de participer à une conférence où il y a de saines discussions. Les discussions sont très animées, mais marquées par le respect. »

La création d’un espace accueillant, inclusif et équitable a fait l’objet de beaucoup de discussions officielles et informelles pendant la semaine. La table ronde sur les femmes en physique a amené les participants à parler des obstacles auxquels les femmes et les autres minorités font face dans le domaine, ainsi que des solutions possibles.

Les panélistes ont fait remarquer que, même si de nombreuses barrières manifestes sont tombées, celles qui demeurent sont plus subtiles, plus difficiles à identifier et à contourner. « Le système actuel, dit Mme Glaser, défavorise délibérément la diversité, et il faut changer cela. » [traduction]

Women in Physics panel
Participants à l’atelier lors de la table ronde sur les femmes en physique

Renate Loll a souligné que, plus souvent que les hommes, les femmes ont tendance à avoir une carrière plus variée et sinueuse que le parcours universitaire typique. « Évaluer les gens selon une échelle unidimensionnelle, dit-elle, désavantage ceux qui ne suivent pas le parcours standard. » [traduction]

Plusieurs panélistes se sont élevés contre le « syndrome du génie », omniprésent en physique — la notion selon laquelle la réussite scientifique est surtout le fait d’individus brillants qui travaillent souvent seuls. Insister sur le génie dévalue la collaboration, la ténacité et le travail acharné. Ruth Gregory, de l’Université de Durham et conférencière lors de l’atelier, a déclaré pour sa part : « Dans les sports d’équipe, on reconnaît les aides ou les passes décisives. Pourquoi pas en sciences? » [traduction]

Lisa Glaser a noté que les génies idolâtrés sont également moins susceptibles d’être tenus responsables de comportements inappropriés, car on a peur de perdre leur contribution scientifique. Dans de telles situations, a-t-elle demandé, « ne nuit-on pas au domaine en éliminant tous ceux qui ont été victimes de ces personnes? » [traduction]

Ouvrir la physique à une plus grande diversité de personnes — sur les plans du genre, de l’ethnie, du statut socio-économique, etc. — peut stimuler le progrès scientifique, selon Astrid Eichhorn. « Si des personnes toutes semblables examinent un même problème toujours du même point de vue, dit-elle, cela n’entraînera pas beaucoup de progrès. Si des personnes différentes abordent un problème sous des angles totalement nouveaux ou avec de nouveaux outils, des progrès sont alors possibles. » [traduction]

Mme Glaser ajoute que l’inverse est également vrai : des groupes minoritaires sont souvent soumis à un barrage épuisant de microagressions, qui peuvent au bout du compte drainer toute leur énergie.

« Nous ne sommes pas des machines à faire de la science, dit-elle, nous sommes des êtres humains. Chacun d’entre nous a des caractéristiques qui le distinguent des autres personnes. Si nous devons occulter ces caractéristiques au travail, cela nous affaiblit. Cela draine de l’énergie que nous pourrions consacrer à la science, et cela nuit à notre travail scientifique. Du coup, la science devient moins vivante, moins attrayante, moins intéressante. » [traduction]

Mais la présence de groupes sous-représentés ne constitue que la moitié de la bataille : il faut aussi veiller à ce que tous se sentent bienvenus et suffisamment à l’aise pour rester. « Cet effort doit être déployé à tous les niveaux, ajoute Bianca Dittrich. Sinon, vous pouvez avoir des jeunes femmes très intéressées, mais qui deviendront frustrées aux niveaux supérieurs. » [traduction]

Une note d’optimisme pour conclure

La combinaison de sujets abordés a été très bien reçue; à la fin de l’atelier, plusieurs avaient déjà demandé à Mme Dittrich de prévoir un autre atelier semblable. « Je crois que cela a été un grand succès » [traduction], a-t-elle déclaré.

« Ce n’était pas une réunion de femmes », a affirmé Dorothea Bahns, professeure à l’Université de Göttingen. « C’était une réunion sur la gravitation quantique où la majorité des participants étaient des femmes.

« Pour moi, ce fut une expérience formidable, parce que nous avons fait beaucoup de chemin en 20 ans. Je crois que c’est important de le souligner et d’en faire part à d’autres, en particuliers aux jeunes étudiants. » [traduction]

Quel problème est le plus facile à résoudre? Abattre les traditions séculaires qui s’opposent à un milieu inclusif, ou coudre le tissu de l’espace-temps?

Cela reste à déterminer, mais les participants à l’atelier se sont dit optimistes de pouvoir résoudre les deux.

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